Réussite scolaire (1/5): quelles sont les actions prioritaires?

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Le 4 octobre dernier, j'étais l'un des invités du panel de réflexion organisé par les PREL. Quatre grandes questions nous avaient été posées. Je les aborde dans ce texte et les trois prochains, et ce, même si chacun d'eux mériterait une thèse complète... Il s'agit - bien entendu - de ma vision, et non d'un résumé des échanges qui eurent lieu... Aujourd'hui, j'explore les actions prioritaires à mettre de l'avant pour s'assurer que nos jeunes réussissent.

Le 4 octobre dernier, j’étais l’un des invités du panel de réflexion organisé par les PREL (Partenaires pour la réussite éducative dans les Laurentides) avec Sandrine Turcotte (psychopédagogue et professeure à l’UQO), Marc-André Carignan (architecte et auteur) et Robert Turbide (psychoéducateur et formateur).


Quatre grandes questions nous avaient été posées. Je les aborde dans ce texte et les quatre prochaines chroniques, et ce, même si chacun d’eux mériterait une thèse complète… Il s’agit – bien entendu – de ma vision, et non d’un résumé des échanges qui eurent lieu…

  1. Quelles sont les actions prioritaires à mettre de l’avant pour s’assurer que nos jeunes réussissent?
  2. Quelle est la clé du succès pour faire en sorte que nos jeunes puissent accéder à un diplôme qualifiant?
  3. À la lumière de votre parcours (1ère partie), que recommandez-vous de mettre en place afin de faire une réelle différence dans le parcours scolaire des enfants (2e partie)?
  4. Si vous aviez une baguette magique, quel serait votre plus grand rêve pour la réussite de nos jeunes et adultes en formation?

Réunis à Val Morin, les PREL tenaient leur journée annuelle réunissant les différents institutions du milieu de l’Éducation et de la Santé, ainsi que les organismes dont la mission est vouée à la réussite scolaire. La mission des PREL, c’est « de sensibiliser, de mobiliser et d’engager les jeunes, leur famille et l’ensemble des acteurs du milieu autour de la persévérance scolaire et de la réussite éducative. »

Au moment où Jean-François Roberge vient de recevoir les clés du ministère de l’Éducation, saluons le fait que – pour la première fois depuis longtemps (si pas depuis sa création) – c’est un enseignant primaire qui hérite de cette responsabilité.

Précédemment, Jean-François fut impliqué bénévolement au sein de Force Jeunesse. Il en a été d’ailleurs le président au début des années 2000, alors que j’étais son vice-président. C’est donc plein d’espoir que j’accueille sa nomination, puisque je connais les valeurs qui animent mon ami!

Quand on regarde les chiffres d’élèves et étudiants en difficulté, il est clair que nous sommes à un point tournant de notre histoire moderne. Ce n’est pas un malaise juste au Québec. La plupart des pays occidentaux rencontrent – sous des formes diverses – les mêmes défis. Une des difficultés majeures, c’est que le problème de fond est systémique, c’est à dire qu’un ensemble de facteurs influent sur la réussite ou l’échec scolaire. Il est donc inutile de chercher un coupable, car c’est une série de situations qui, en entraînant d’autres, induisent les défis.

C’est ainsi que des organismes comme les PREL sont non seulement utiles, mais essentiels, car c’est ensemble qu’on trouvera des solutions concrètes et applicables. Par ailleurs, même si je voue un grand respect aux valeurs et au dévouement de notre nouveau ministre, la solution ne viendra pas du ministère, même si le ministère fait partie de la solution. En fait, il faut que chaque individu, de l’enfant au ministre, en passant par les parents, les enseignants, les personnes ressources, les responsables des institutions et les fonctionnaires, se sentent autant concernés qu’humbles devant les défis qui nous attendent.

Bref, revenons au panel du 4 octobre dernier avec la première question: quelles sont les actions prioritaires à mettre de l’avant pour s’assurer que nos jeunes réussissent?

LES ENFANTS SONT PAREILS ET SI DIFFÉRENTS

Comme Émilie Bordeleau (l’héroïne des romans Les filles de Caleb), ma grand-mère est devenue enseignante et titulaire de classe à 14,5 ans, après 8 ans d’école fondamentale et quelques mois d’école normale.

Aujourd’hui, il faut 24 ans pour obtenir son brevet d’enseignement au Québec. Il y a 100 ans, on devenait médecin ou avocat vers 18-19ans. En moins d’un siècle, la durée des études s’est prolongée d’une dizaine d’années pour atteindre les mêmes fonctions. Pourquoi? Parce que la société est de plus en plus complexe!

Il est donc important de comprendre que les enfants sont biologiquement pareils, mais ils sont socialement différents, car la société a tellement changé, et ce, pour le meilleur et pour le pire. Cela prend donc de plus en plus de temps pour acquérir les outils pour s’adapter à la réalité de la vie moderne.

Ce n’est pas pour rien que de plus en plus de personnes ont recourt à la médication psychotropes pour gérer plus efficacement leurs émotions. Nos sociétés n’ont jamais rencontré autant de personnes sous antidépresseurs ou psychostimulants, pour ne parler que des deux fléaux les plus répandus en termes de troubles mentaux.

On ne peut donc plus aborder les élèves en 2020, comme on le faisait dans les années 1960 ou même 1980! Il faut tenir compte de cette réalité. Biologiquement, les enfants et les ados sont toujours les mêmes, mais l’adolescence s’étend de plus en plus. On parle aujourd’hui qu’elle durerait jusqu’à 24 ans! Cela s’explique par le fait qu’il faut de plus en plus de temps pour développer les habiletés nécessaires pour accéder à une autonomie affective permettant au jeune d’assumer ses responsabilités.

LES DÉFIS SONT NOMBREUX ET PARFOIS SOURNOIS

Nominée deux fois « Australienne de l’année », Sue Dangate a réalisé un projet fantastique avec toute la communauté du village de Nana Glen: enfants, parents et équipe éducative. Dans un premier temps, elle les a sensibilisé à l’effet possible de 5 colorants alimentaires très répandus, surtout dans la nourriture destinée aux enfants. Ensuite, il s’agissait de repérer ces colorants (souvent dénommés E****) dans la liste des ingrédients des produits commerciaux. Enfin, tous les villageois se sont engagés à ne plus les consommer pendant 2-3 semaines.

Bref, c’est en impliquant tous les membres de la communauté qu’ils sont arrivés à un résultat surprenant. En effet, on a pu voir des changements considérables en termes de comportements en seulement deux semaines. Si l’école seule avait tenté l’expérience, sans impliqué les parents, il eut été difficile d’observer ces changements. Si l’une ou l’autre famille avait tenté l’expérience sans impliquer la communauté scolaire, cela aurait été une goutte d’eau dans l’océan. C’est pas l’implication de toute la communauté qu’on a pu observer comment certaines habitudes de vie sont désastreuses sur la réussite scolaire.

Donc, il y a des effets bénéfiques qu’on peut attribuer à la réduction ou à l’arrêt de la consommation des colorants. Personne ne niera l’importance d’une bonne nutrition. Toutefois, on ne peut pas dire que c’est le seul facteur de transformation. L’implication de toute la communauté, ce qui implique une meilleure collaboration entre les adultes (et particulièrement un meilleur lien parent-enseignant), la création d’un espace plus sécuritaire (l’école devient un lieu où il fait bon vivre) et l’attention réservée aux enfants (tant pour identifier les ingrédients que pour cuisiner sans les agents toxiques) doivent avoir eu un effet non négligeable sur le comportement des enfants.

QUITTER LE DISCOURS MÉDICAL

Ces dernières années, on a vu – contrairement à ce que prévoit la loi sur l’instruction publique et celle qui préserve le droit à la confidentialité des dossiers médicaux – l’usage des diagnostics pédopsychiatriques pour accorder des accommodements ou des services dans les institutions scolaires. Cela conduit à deux situations problématiques.

D’une part, les équipes éducatives n’ont pas besoin du discours médical pour déterminer les forces et les défis des élèves. Ils sont compétents sur le plan pédagogique. Or, le recours aux diagnostics pédopsychiatriques a fait perdre de vue comment les enseignants disposent de beaucoup de ressources pour évaluer et pour minimiser les difficultés d’apprentissage. Ils s’attendent – et c’est légitime – une solution extérieure, alors qu’ils disposent de tellement beaux outils pédagogiques!

L’idée qui s’installe avec le discours psychiatrique, c’est que l’origine du problème est associée à une malchance génétique et, conséquemment, qu’on ne peut pas nécessairement modifier la disponibilité de l’enfant ou de l’adolescent. Il est donc urgent de retrouver une certaine confiance, pour ne pas dire une confiance certaine, dans les capacités pédagogiques, car la génétique est loin, très loin, d’expliquer tous les défis rencontrés par les jeunes et les moins jeunes.

D’autre part, l’expérience de Sue Dangate montre que l’origine des difficultés de concentration, de l’agressivité et de la suractivité, ainsi que de nombreux défis rencontrés par les élèves à l’école ou à la maison, ne sont pas uniquement dus à un trouble psychiatrique et que l’usage des psychostimulants se doit d’être questionné.

On ne niera pas la détresse, les besoins et les marqueurs de défis en termes de faible disponibilité à la réussite scolaire, mais la solution passera par l’implication de toutes les parties prenantes!

BRISER LES SOLITUDES

J’ai toujours été étonné de constater le mur qui s’est érigé entre les enseignants et les parents. Actuellement, il y a deux solitudes qui se craignent l’une, l’autre. L’expérience de Sue Dangate devrait nous inviter à briser cet isolement, car tous y perdent .

En fait, nombre d’enseignants redoutent la critique. C’est compréhensible quand on voit la hargne et le manque de jugement dans certaines réactions de parents. Beaucoup d’interdit en termes de jeux de cours (comme le roi de la montagne) découle de plaintes agressivement exposées à la direction parce qu’un enfant s’est fait mal. Pourtant, c’est juste un jeu, juste un accident.

Quand j’enseignais, j’avais un point de vue très différent. J’acceptais que les parents viennent me rencontrer quand ils le souhaitaient. Je considérais que j’avais un privilège d’accueillir leur enfant dans ma classe. J’étais très conscient aussi que mes stratégies éducatives et pédagogiques étaient inhabituelles, bien que fortement encouragées par mes mentors lors de ma formation initiale, mais aussi mon secondaire!

Plusieurs parents ont usé de cette invitation. Cela m’obligeait à être très clair dans mes motivations et mes objectifs. Aujourd’hui, je sais que les neurosciences sont en phase avec ces stratégies, mais elles restaient très avant-gardistes en 1990 et elles le sont encore, d’ailleurs.

Je crois donc qu’il faudrait augmenter les occasions de contacts entre parents et membres de l’équipe éducative. Au Québec, cela se résume souvent à la réunion du début d’année et le premier bulletin en novembre, ainsi qu’éventuellement un plan d’intervention si l’élève est en difficulté. Dans de telles situations, les parents sont souvent mal à l’aise. Leur enfant a peut-être rencontré des défis, mais eux aussi vivent l’échec dans leur chair et pas juste à cause de l’enfant.

En effet, les parents ont – un jour ou l’autre – été des enfants et des ados. Des élèves et des étudiants. Beaucoup ont vécu de belles aventures durant leur scolarité, mais combien en sont sortis blessés, meurtris ou, parfois, traumatisés?

Sur le plan personnel, l’école m’a sauvé. J’y suis entré à 2,5 ans – grâce à une dérogation – et j’ai finalisé mon doctorat à 35 ans. L’école m’a offert des modèles bien plus valides, plus éthiques et plus soutenants que celui que mes parents m’ont offert.

Toutefois, je rencontre beaucoup de parents dans mon travail clinique qui, eux, n’ont pas eu cette chance. Les défis rencontrés par leurs enfants font resurgir la souffrance qu’ils avaient enfuie depuis des années. Alors, le contact avec l’enseignant – même bienveillant – devient douloureux, ce qui complique la collaboration nécessaire.

On imagine la vie morcelée dans les cités et on pourrait croire que le lien parent-enseignant est de meilleure qualité dans les campagnes, mais je ne vois pas de grandes différences entre ce qui se passe dans les villes, les banlieues ou les villages.

CRÉER DES LIENS POUR QUE RENAISSE LA CONFIANCE

Nous avons collectivement besoin que les adultes créent des espaces de vie sains et sereins autour de l’école. La proximité affective va permettre la création ou l’amélioration de la relation de confiance entre les parents et les équipes éducatives. L’abandon des discours médicaux va faire aussi partie de la solution car, même si l’intuition de l’enseignant est juste, la position d’autorité scolaire crée – dans bien des cas – un rapport de force qui nuit au consentement libre et éclairé nécessaire pour que les parents prennent, avec leur médecin, la meilleur ou la moins pire décision.


La création d’activités festives, sportives ou même éducatives, dans les écoles de manière à réunir toute la communauté oeuvrant autour de l’institution et du quartier est un aspect fondamental. Les neurosciences ont montré que la qualité du lien influe directement sur la réussite d’une psychothérapie. Boris Cyrulnik, mais aussi d’autres personnes moins médiatisées comme Richard Robillard ou moi-même, insistons sur la nécessité de créer des liens de confiance entre les enseignants et leurs élèves. La Presse vient d’ailleurs de sortir un dossier sur les professeurs qui ont fait la différence dans la vie de plein de jeunes.

L’étape suivante, c’est de recréer ces liens entre les enseignants et les parents. Si ces derniers se sentent en confiance, les enfants se sentiront mieux et la cohérence des interventions éducatives sera encouragée par une meilleure collaboration entre les adultes.

Les écoles européennes organisent chaque année des fêtes autour de différents thèmes, alors que les écoles québécoises qui mobilisent les parents autour de leur projet pédagogiques voient de meilleures opportunités de collaboration, mais combien de parents sont encore hésitants? Ils sont – pour la plupart – blessés. Même le parent-roi est simplement dans une attente légitime d’être entendu dans sa détresse. Même le parent qui hurle, ce n’est pas acceptable, mais c’est une souffrance intérieure qui, d’une manière ou d’une autre, se doit d’être écoutée.

Le parent aussi se doit de prendre soin de lui-même pour respecter l’expertise de l’enseignant. Toutefois, la création d’un lien lui permettra de mieux comprendre la réalité de l’équipe éducative. S’il comprend mieux la décision du professeur, s’il a créé un lien de confiance avec lui, si l’un comme l’autre se sentent respectés par l’autre et l’un,… il y aura alors des possibilités insoupçonnées pour favoriser la réussite de nos jeunes.

La compassion est une solution sine qua non à la réussite scolaire. L’action communautaire est aussi nécessaire. Travailler ensemble pour construire l’École, au sens propre comme figuré.

On se revoit pour la prochaine question: « quelle est la clé du succès pour faire en sorte que nos jeunes puissent accéder à un diplôme qualifiant?« 

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