Évaluations en neuropsychologie (1/5): quand votre vie médicale est exposée à n’importe quelle personne…

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Clémentine a vécu un "épisode dépressif" quand elle avait 16 ans. Un an plus tard, elle est expulsée d'un programme d'échange international, alors qu'elle allait bien depuis au moins un an. C'est un des effets pervers de l'usage des diagnostics psychiatriques dans le milieu scolaire pour obtenir des services...

Est-il normal qu’un diagnostic de dépression puisse limiter les opportunités scolaires et professionnelles? Clémentine a vécu un « épisode dépressif » quand elle avait 16 ans. Un an plus tard, elle est expulsée d’un programme d’échange international, alors qu’elle allait bien depuis au moins un an.

Au-delà de la regrettable discrimination envers l’adolescente qui a vécu un moment difficile, deux questionnements sont à considérer en regard du secret médical ou thérapeutique. En effet, votre vie médicale est de plus en plus exposée et, malgré les apparences, va contraindre vos droits légitimes.

Constatant à quel vitesse des personnes en autorité requièrent qu’un élève transmette le contenu de son dossier médical, je me suis interrogé avec Rosane Noune, l’une de mes étudiantes à la maîtrise, sur ce phénomène, mais aussi sur la légalité des demandes d’accès par des personnes qui ne se rendent pas toujours compte des conséquences psychosociales que cela peut avoir pour cet élève, comme on le voit dans l’histoire de Clémentine.

Rosane avait une formation d’avocate et réalisait une seconde maîtrise en éthique clinique. Nous nous interrogions sur les questions qui se posent quand il y a une atteinte à la protection du secret médical:

  1. Est-ce que le secret médical existe encore lorsqu’il faut avoir accès à un diagnostic pour obtenir de l’aide ou des aménagements nécessaires pour passer à travers sa scolarité, alors que la Loi sur l’instruction publique ne demande pas une telle démarche (la loi estime que le jugement des responsables des institutions est suffisante)?
  2. Est-ce qu’un diagnostic comme la dépression est valide, lorsqu’on sait que (1) les critères sont inclusifs et facilement identifiables et (2) les critères sont déconnectés des connaissances en neurosciences, alors qu’au moins 9 zones différentes du cerveau peuvent les induire?

Ces questionnements sont d’autant plus importants que de plus en plus d’institutions publiques et d’entreprises (notamment les assureurs) réclament l’accès aux diagnostics, sans qu’aucune mesure ne permette d’éviter un mésusage des données confidentielles. Nous abordons le premier questionnement dans cette chronique, à savoir le droit inaliénable à la confidentialité des diagnostics psychiatriques. Le prochain texte abordera la valeur médicale de ces diagnostics qui, de plus en plus, s’avèrent des cadeaux empoisonnés, comme dans le cas de la jeune Clémentine.

PHILIPPE PINEL, UN PRÉCURSEUR

Les Montréalais connaissent l’Institut Philippe Pinel qui accueille les personnes en difficultés psychiatriques. Médecin, ce praticien a développé le concept primaire du secret médical au XVIIIe siècle. Il estimait qu’un médecin ne pouvait pas s’assurer d’offrir de bons soins s’il ne pouvait garantir la confidentialité des informations échangées entre le patient et lui.

Depuis, le concept de confidentialité s’est élargi à tout professionnel qui a accès à des données sensibles. Les infirmières, les notaires et les avocats sont parmi les premiers à avoir été touchés par cette nécessité de conserver le le secret professionnel pour effectuer leur travail consciencieusement.

Depuis que les pratiques thérapeutiques ne sont plus uniquement l’apanage des médecins, les psychothérapeutes, les acuponcteurs, les ostéopathes et les chiropraticiens sont, eux aussi, soumis au secret thérapeutique.

Malheureusement, les écoles se sont senties obligées de réclamer des diagnostics pédopsychiatriques pour accorder des services aux élèves, alors que le nombre de jeunes diagnostiqués dans une classe permet d’évaluer la pénibilité de la charge d’enseignement pour les équipes-écoles. Même le ministère les réclament pour accorder des subsides aux écoles qui demandent une enveloppe budgétaire conséquente avec les réalités de leurs élèves en termes de besoins pédagogiques.

PEUT-ON ROMPRE LE SECRET MÉDICAL?

Normalement, on ne peut pas briser le lien de confiance entre le thérapeute et le patient. Même un juge ne peut forcer le bris de confidentialité. Le thérapeute ne peut transmettre que les informations que son patient accepte ou demande de communiquer, par exemple, dans un rapport ou une lettre. Somme toute, le diagnostic ou la condition de santé au sens large est du domaine confidentiel hors de tout doute, comme nous le verrons plus loin dans ce texte.

Il y a quelques années, j’ai eu le plaisir de superviser une avocate qui réalisait une seconde maîtrise en éthique clinique. Alors que je voyais le nombre de situation dans les écoles primaires et secondaires dans lesquelles l’accès à des informations très sensibles était préjudiciable pour mes jeunes patients, je l’ai mandatée – pour sa recherche – de se pencher sur le phénomène des règles juridiques internationales et de la compréhension, par les intervenants scolaires et médicaux, des conséquences du bris de la confidentialité.

D’un point de vue juridique, deux situations singulières obligent une transgression du secret médical:

1) la personne est porteuse du virus d’immuno-déficience humaine (VIH) doit être rapportée sur une liste nationale qui, normalement, reste confidentielle; par ailleurs, il arrive que des médecins signalent l’incapacité de conduire d’un de leurs patients sans que le patient n’ait demandé un avis médical, voire certaines troubles psychiatriques qui pourraient les conduire à enlever des enfants; si la dénonciation du VIH est obligatoire, les deux autres situations peuvent mener à une demande d’enquête auprès du Syndic qui évaluera la décision du professionnel;

2) la personne présente un risque clair et évident de mettre la vie d’une personne identifiable en péril; somme toute, le professionnel de la santé doit agir de manière diligente si le patient veut, soit mettre fin à ses jours, soit assassiner une personne identifiée; par contre, un patient qui révèlerait un meurtre parfait pour soulager sa conscience au moins avec son psychothérapeute ne peut être dénoncé, et ce, même si un juge l’ordonne; de même, une personne qui met la vie d’autrui en danger, sans que les personnes ne puissent être identifiables, ne peut être dénoncé sauf dans une situation très particulière décrite ci-après; on s’entend qu’un mineur qui serait agressé par un adulte relève de cette condition singulière.

Dans les faits, d’autres cas de figure existent ou, du moins, sont tolérés par certaines institutions publiques, mais ils posent de graves problèmes sur les plans tant éthiques que personnels. Les blessures de la personne qui se sent trahie valent-elles la peine d’une transgression de ce droit inaliénable?

DÉRIVE DU SYSTÈME

Pourtant, la confidentialité est de plus en plus remise en question par l’usage que certaines institutions publiques et privées en font. Bon an, mal an, les diagnostics sont désormais utilisés hors des cliniques. L’intention est noble. Toutefois, on ne mesure pas toujours l’impact négatif à plus ou moins long termes.

D’une part, il y a les assureurs qui, du moins au Canada, tiennent un fichier centralisé (inter-assureurs privés) de toutes les informations confidentielles que vous transmettez pour obtenir une couverture. Somme toute, l’adhésion à une assurance – surtout celles pour votre santé – force l’acceptation d’être fiché, sans aucun droit de regard sur les informations contenues. C’est souvent écrit en tous petits caractères, ceux qu’on lit rarement, surtout si leur contenu est rédigé de manière juridique.

Cela semble normal pour établir le degré de risque pour une assurance-invalidité ou une assurance-vie. C’est clair.

Pourtant, des patients ayant été diagnostiqués formellement par un médecin comme souffrant d’un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité se sont vus refusés l’accès à une assurance auto et à l’assurance habitation. Le risque d’impulsivité ou de distraction étant jugé trop important par l’employé(e) qui a évalué le dossier. Ces personnes doivent alors recourir à des assureurs hors-cadre régulier – comme lorsque vous êtes refusés par un assureur suite à 2 ou 3 déclarations d’accident – et payer des primes exhorbitentes.

D’autre part, il y a les institutions scolaires qui réclament souvent une évaluation neuropsychologique avant d’accorder les aides nécessaires. Pourtant, la Loi sur l’instruction publique affirme que le jugement institutionnel suffit pour accorder des accommodements pédagogiques.

Au primaire et au secondaire, cette problématique découle souvent de leurs liens avec les fonctionnaires du ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport du Québec, mais c’est aussi parfois une manière de recadrer les demandes indues de « parents revendicateurs ». Il n’en reste pas moins que cela peut coûter plusieurs milliers de dollars en évaluation neuropsychologique, alors que celle-ci n’est valide que deux années. Sachez que, souvent, le médecin requière aussi une telle évaluation, car il ne se sent pas prêt à poser le diagnostic formellement.

Aux études post-secondaires, c’est une réaction protectrice des institutions, suite au nombre croissant des étudiants ayant reçu des aides pédagogiques précédemment. Mal préparées, voire dépassées, par l’afflux de demandes d’accommodements, les institutions réclament un diagnostic pour offrir les aides nécessaires de manière à faciliter la réussite de l’étudiant. L’ignorance des lois font en sorte que la pratique prend une ampleur phénoménale.

Dans les deux cas, la logique administrative s’explique. C’est compréhensif, mais cette logique viole le droit inaliénable de confidentialité des informations sur la santé des individus. Le secret médical doit être respecté, mais les contraintes budgétaires donnent une illusion de légitimité de ces pratiques.

LA CONFIDENTIALITÉ EST UN DROIT INALIÉNABLE

Je me suis intéressé au phénomène du bris de confidentialité suite à l’observation de ces deux dérives administratives, tels que rapportés par plusieurs patients. Il faut savoir que, pour moi, une confidence – même d’un ami – doit rester secrète. Si on me fait confiance, je me dois de respecter la confidentialité.

Dans mon travail psychothérapeutique, c’est encore plus vrai. Et la rigueur est d’autant plus de mise que je travaille désormais dans une région où je croise fréquemment des patients, actuels ou anciens, dans le cadre de ma vie personnelle.

Vous comprendrez donc que la situation des enfants et des ados m’interpelle beaucoup. Comment voulez-vous qu’il vous fasse confiance s’ils craignent que vous transgressiez sa confiance? Sans lien de confiance, comment voulez-vous qu’il accepte de suivre vos consignes?

Insécure, il activera bien plus facilement son détecteur de danger au lieu de développer la partie la plus humaine de son cerveau!

Ses réactivités seront alors stimulées, voire exacerbée par le manque de confiance. On peut lui coller un diagnostic, mais cela traduit le plus généralement une difficulté à se déposer, car il ne se sent pas en sécurité.

ALLER PLUS LOIN

  1. Le secret thérapeutique: influences socioculturelles et implications pour les professionnels de la santé (Maumaha Noune & Monzee: Le Secret thérapeutique (1/2) – L’état de la législation internationale – 2010); 
  2. Problématiques éthiques quant à la violation du dossier médical des enfants (Maumaha Noune & Monzee: le Secret thérapeutique (2/2) – Les conséquences du bris de confidentialité – 2011).

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