Parentalité bienveillante: Joël Monzée et Catherine Gueguen clarifient cette pratique éducative

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Québec Science vient de publier une critique du concept de «parentalité bienveillante». Fers de lance de cette pratique éducative, Catherine Gueguen et moi devions nuancer les affirmations présentées dans cette sévère analyse.

Marine Corniou, rédactrice-en-chef adjointe de Québec Science, a écrit un article critiquant vertement la parentalité bienveillante, notamment en rapportant des commentaires de la psychologue française Caroline Goldman. Par ailleurs, la journaliste s’est notamment inspirée de ce qui se disait sur les réseaux sociaux plutôt que d’essayer de communiquer avec Isabelle Filiozat, Jean-François Belmonté (Papa Positive) ou nous, pour analyser les ressources de la pratique éducative.

Plusieurs erreurs conceptuelles et méthodologiques ont conduit cette journaliste à minimiser les aspects positifs de la pratique éducative bienveillante. Catherine Gueguen et moi avons décidé de nuancer les affirmations douteuses exprimées dans la revue dont la vocation est de vulgariser la science. Ce texte est la version longue d’une lettre ouverte qui sera publiée prochainement dans le journal LAPRESSE.

CE QUE DIT LA SCIENCE DE LA TENDANCE ÉDUCATIVE DU MOMENT… VRAIMENT?

Quelle méthode permettrait à un chercheur de prouver scientifiquement qu’un parent aime son enfant?

La meilleure manière de le faire serait de l’observer et, non seulement de relever les actes bienveillants, mais surtout leur capacité à éviter toute intervention potentiellement nuisible, voire malveillante.

Toutefois, est-ce qu’on pourrait généraliser ces observations?

Est-ce qu’il existe des indicateurs mesurables permettant de dégager des données probantes au départ de comportements singuliers?

Est-ce que tous les parents doivent agir de la même manière pour «cocher les cases» du bon-parent?

Est-ce qu’il existe une seule et unique manière de concevoir le fonctionnement du cerveau et, forcément, d’offrir une lecture unique pour disserter sur toutes les formes d’intervention?

Est-ce qu’une théorie pourrait tenir compte de toutes les singularités neurologiques, mais aussi personnelles, éducatives, communautaires ou culturelles?

Est-ce qu’un chercheur pourrait dégager un «programme» généralisable à toutes les familles?

En d’autres mots, est-ce qu’on pourrait dicter de bonnes conduites précises à exercer en tout temps, un peu comme une recette magique qui assurerait le bien-être de tous?

La réponse à ces questions est négative, ce qui illustre le piège dans lequel Marine Corniou est tombée en critiquant vertement la pratique éducative encourageant la parentalité bienveillante.

Sa définition ne pourra jamais s’inscrire dans un protocole de recherche dégageant des données probantes généralisables, alors que la Science se base sur des données contradictoires que l’on doit identifier pour nuancer une théorie. C’est impossible.

Par contre, il y a des connaissances en neurosciences qui nous aident autant à comprendre les processus neurologiques que l’efficience de la pratique tel que nous l’avons exploré lors du colloque qui s’est tenu à Montréal en 2019 auquel participaient plusieurs spécialistes du monde de la santé et de l’éducation, ainsi que les ministres Jean-François Roberge et Lionel Carmant, dont les conférences sont accessibles en rediffusion.

QUE DISENT VRAIMENT LES NEUROSCIENCES?

En fait, ce que les neurosciences sociales et affectives démontrent, c’est – avant toute chose – l’impact des différentes formes de violence éducative ordinaire (VEO) ciblées en dix points par le CDC américain.

Comme mentionné brièvement dans l’article de Québec Science, des centaines de recherches ont démontré que la VEO a un impact majeur, tant sur le processus de maturation du cerveau des enfants que sur leur santé globale à mesure qu’ils vieillissent. C’est d’ailleurs un enjeu de santé publique qui interpelle aussi l’INSPQ depuis plusieurs années.

Des études en neurosciences affectives et sociales démontrent aussi qu’il est possible d’enseigner les bonnes pratiques pour encourager la co-construction d’espaces de vie sereins.

C’est ainsi que le cœur de la parentalité bienveillante est d’essayer de réduire le plus possible le nombre et la fréquence des interventions s’apparentant à la VEO.

Ce n’est ni une technique, ni un programme, ni une recette magique.

C’est un engagement des parents à essayer d’éviter de blesser, de négliger, d’humilier, de frapper, de critiquer inutilement, d’abuser de leur pouvoir parental, etc.

C’est aussi un engagement des parents à essayer d’être cohérents, respectueux, constants et intègres aussi souvent que possible et, s’ils éprouvent des difficultés, aller chercher de l’aide pour assurer des interventions empreintes de compassion et d’empathie.

Les experts de la parentalité bienveillante ne se servent pas des neurosciences pour dire «faites ceci» mais pour, d’une part, expliquer les dynamiques psychologiques et sociales des jeunes en fonction du rythme de leur développement naturel afin de déjouer les attentes aussi légitimes que déraisonnables face aux jeunes. D’autre part, elles expliquent comment – et cela Marine Corniou le reconnaît – l’abus de pouvoir et la coercition vulnérabilisent l’enfant dans son développement global à court, moyen et long terme.

NOMMER CLAIREMENT LES LIMITES

En aucun cas, nous ne disons de ne pas exprimer les limites attendues. En aucun cas, nous ne disons d’éviter de dire «non» aux jeunes. Au contraire. L’absence de limites claires, cohérentes et constantes est une des formes de la négligence psychologique.

Nous essayons de sensibiliser les adultes aux réalités biologiques des étapes du développement. Par exemple, de nombreux adultes pensent qu’un enfant peut s’auto-réguler à cinq ans ou qu’un ado peut facilement contrôler ses réactions émotionnelles. Ce sont des attentes normales, mais extravagantes, car le jeune n’a pas encore les ressources sur le plan biologique.

Cela ne veut pas dire qu’ils ne doivent pas intervenir, mais une meilleure compréhension des aspects neuropsychologiques peut moduler la manière d’intervenir. Conséquemment, cela les invite à prendre soin de leurs attentes utopiques, à éviter de décharger leur déception et à renoncer à la violence physique ou psychologique pour encourager les comportements attendus.

Une intervention aussi précise que respectueuse pour mettre des limites ou imposer une tâche (et de s’y tenir) fait en sorte que le jeune peut s’appuyer sur la cohérence de ses parents pour grandir sereinement. Et si le parent perd patience, s’exprime d’une manière inadéquate ou abuse momentanément de son autorité, c’est aussi une formidable occasion de dire au jeune qu’on a fait une erreur.  Cette humilité donne de l’espoir au jeune: on peut faire des gaffes, le tout est d’éviter de les reproduire trop souvent.

De plus, les enfants apprennent bien plus par mimétisme que par prescription, donc l’adulte est invité à être un modèle. Ainsi, plus l’adulte est respectueux, plus le jeune le sera…

Cela ne veut pas dire qu’aucun écueil ne peut survenir, mais que la manière de les aborder s’appuie sur le développement mutuel de l’intelligence émotionnelle.

PARENTALITÉ BIENVEILLANTE ET ÉTHIQUE

La parentalité bienveillante repose sur les mêmes ressources psychologiques que l’on s’attend des adultes dans le cadre de leur vie professionnelle et sociétale.

Est-ce que certains parents peuvent vivre une charge mentale démesurée?

Oui, c’est normal, mais il est inquiétant de cibler la parentalité bienveillante comme principale cause. Comme parent, il est parfois difficile de faire des choix cohérents.

Le problème, c’est qu’on veut souvent tout et son contraire. On veut être le super-parent, le super-(ex-)conjoint, le super-ami, le super-professionnel, le super-enfant-de-ses-parents-vieillissants, le super-sportif, etc. On est dans la performance (faire) et pas dans la qualité de relation (être) avec notre entourage.

D’autre fois, on agit de manière extraordinaire dans notre milieu de travail et, épuisé, on décharge le trop plein à la maison. Tout ce qu’on a toléré au travail devient intolérable à la maison. La sur-adaptation professionnelle conduit donc vers les formes de VEO une fois de retour à la maison, et c’est ce que la parentalité bienveillante cherche à éviter.

Fondamentalement, la parentalité bienveillante est basée sur les mêmes principes que l’éthique et la déontologie, c’est un engagement à éviter d’abuser de l’autorité parentale. Cela demande l’identification des gestes ou propos à éviter, la remise en question continue et l’engagement à faire le mieux possible.

La parentalité bienveillante n’a rien à voir avec des psychotrucs, c’est un état d’être de la personne envers son entourage familial, dont ses enfants (ou beaux-enfants) et son partenaire de vie.

Nous sommes donc loin des affirmations présentées par Caroline Goldman et la journaliste de Québec Science.

NB. Crédit photo de Catherine Gueguen et Joël Monzée: Benoît Guérin (prise durant le colloque en 2019).

RÉFERENCES

Marine Corniou, La parentalité positive à l’épreuve de la science, Québec Science, mars 2023

Le monde de l’enfant et de l’ado bousculé: défis et pistes de solution concrètes – Colloque international sur l’intervention bienveillante en famille, à l’école et en santé, Montréal, 2019 (accès à la rediffusion).

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