La charge mentale (1/3): comprendre le sens des symptômes et retrouver le chemin vers la sérénité

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La charge mentale est une affection psychologique qui survient quand une personne fait face à trop de demandes d'adaptation. Le degré de stress est tel que l'individu n'arrive plus à s'apaiser. Cela concerne bien des mamans, mais aussi des pères, des enfants et des ados. Prendre conscience des phénomènes est la première étape pour réduire l'inconfort émotionnel.

Comment identifier les traces de la charge mentale et retrouver sa force de vie? Bien sûr, la détresse et le besoin d’aide demande parfois des interventions en urgence. Le médecin ira droit au but: l’utilisation de critères facilement identifiables, un diagnostic psychiatrique et la médication sera offerte. Des patientes m’ont d’ailleurs raconté qu’elles avaient à peine partagé la charge mentale accumulée qu’elles se voyaient invitées à plusieurs reprises à prendre des antidépresseurs. Le médecin doit, pour respecter les normes du Collège, faire cette proposition d’aide pharmacologique.

En effet, les larmes sont un des critères inclusifs de l’anxio-dépression. Ainsi que la présence de Pensouillard le hamster que le Dr Serge Marquis utilise pour illustrer les pensées défensives. L’épuisement moral tout autant. Mais, la personne est-elle vraiment malade ou a-t-elle besoin d’apprendre à se déposer? Est-ce qu’elle a vraiment besoin qu’on force chimiquement une adaptation de son cerveau pour éteindre sa charge mentale? Se pourrait-ils que les symptômes soient une invitation à revisiter tant les objectifs que la nature de son implication familiale, sociale et professionnelle?

MARIE ET VÉRONIQUE

Marie est dans la jeune trentaine. Après avoir réalisé sa maîtrise qui lui valut plusieurs honneurs, elle a eu trois enfants avec son conjoint. Depuis son dernier congé de maternité, elle travaille fort dans la PME familiale, elle bénéficie heureusement des services d’une garderie. Elle fait attention à ce qu’elle mange et préfère donc cuisiner les fins de semaines, plutôt que d’acheter des repas préparés. Elle fait du sport pour se maintenir en santé, au moins trois fois par semaine.

Sauf que voilà. Elle vient de s’effondrer. Elle pleure tout le temps, n’a plus le goût à rien, n’arrive plus à produire comme elle l’a fait tant d’années, comme fille, étudiante, mère, épouse, professionnelle, amie, voisine… Elle était souvent la première à aider et s’impliquer dans des causes sociales. Aujourd’hui, elle veut juste s’enfuir loin de tout, ne plus répondre à aucune sollicitation, même de ses enfants qu’elle adore. Elle se sent déchirée entre ses besoins et les nécessités, elle n’en peut plus.

Elle consulte son médecin, qui la connaît depuis des années. Que faire? Les risques de passage à l’acte suicidaire n’étant pas présents, est-il nécessaire de prescrire des antidépresseurs pour qu’elle reprenne le collier? Son médecin est aussi une femme performante. Comme Marie, Véronique l’a toujours été, tant dans ses études que sa pratique médicale, mais également comme mère de trois enfants. Malgré les railleries de certains mentors déçus qu’elle aille en médecine familiale, elle avait choisi d’aller dans un GMF, pour vivre une médecine de proximité avec ses patients. Elle savait qu’elle aurait pu choisir une spécialité et faire une carrière mixte en clinique et en recherche, mais elle voulait voir grandir ses enfants et profiter d’un cadre de vie campagnard.

Malgré un horaire chargé, Véronique va prendre le temps de parler avec Marie: «Tu sais, lui dit-elle, je te connais depuis des années. Je te vois très active dans ton travail, très attentionnée comme maman. Tes enfants ne manquent de rien. Je sais que tu fais attention à la nourriture et que tu vas au fitness régulièrement. Je pourrais te prescrire des antidépresseurs, mais je ne crois pas que je te rendrais service.»

REVENIR À SOI

Interpellée, Marie demande ce qu’il «faut faire». Véronique lui confie alors une histoire du socio-ethnologue Joseph Campbell. «Nous mettons parfois 40 ans pour gravir les escaliers d’un building. Puis, lorsque nous arrivons sur le toit, nous nous rendons compte que nous nous sommes trompés de building. Bien sûr, tu as une famille et je ne doute pas qu’elle est importante pour toi. Toutefois, ne te mets-tu pas trop de pression pour être bonne dans tout ce que tu fais. Et si ta dépression t’invitait simplement à ralentir un certain temps pour déterminer tes priorités? De nouvelles priorités, pas celle d’il y a 5, 10 ou 15 ans.»

C’est d’ailleurs l’invitation du roman «Mange, prie, aime».

Lors d’une formation suivie au début de ma carrière, une prof nous avait partagé que «Rien de tel qu’une ‘dépression’ de temps en temps pour se réaligner sur l’essentiel de notre vie. Personnellement, tous les deux ou trois ans, je m’effondre. Je pars en Italie une semaine ou deux chez une amie, elle me fait manger macrobiotique et je passe mon temps à contempler la Méditerranée, juste respirer les parfums et sentir le vent. Puis, je reprends le collier.»

Une mère se perd si facilement dans son rôle pour accompagner ses enfants et son conjoint, quand ce n’est pas aussi auprès d’un parent en perte d’autonomie. En analyse transactionnelle, on parle de l’archétype du sacrifice, aussi fréquent chez la femme que celui du guerrier chez l’homme.

Quelque part, ces deux archétypes sont souvent cachés sous les stigmates de la performance. Or, notre société moderne tend à pousser les uns, comme les autres, à affronter de plein fouet les deux processus à transcender.

La difficulté à vivre ce processus conduit au double piège de l’insécurité et de l’orgueil. On bascule de l’un à l’autre continuellement, ce qui nourrit la soif de performance. Jusqu’au jour où le corps et l’esprit lâchent. L’humeur dépressive devient ainsi peut-être nécessaire pour la survie.

LA MORT DE MON MEILLEUR AMI

Deux de mes amis sont morts vers 33-34 ans d’une crise cardiaque. L’un d’eux avait fait un ECG deux heures avant que son cœur ne s’arrête. L’autopsie n’a révélé aucun problème, ni au cœur, ni au cerveau. Pas de cholestérol. Ses deux frères, qui travaillaient à l’époque pour GlaxoSmithKline (GSK), m’expliquèrent que sa mort était peut-être due à un problème à la jonction neuromusculaire des fibres cardiaques.

Une des explications est sans doute exposée par le psychiatre David Servan-Schreiber. Il explique qu’un grand nombre de personnes auraient de la difficulté à maintenir leur cohérence cardiaque à cause du niveau d’anxiété vécu, mais occulté. Il y aurait en fait un déséquilibre entre les deux composantes du système végétatif qui active et ralentit la fréquence cardiaque et respiratoire.

L’autre explication tient dans la transgression du « verrou » qui protège le coeur en situation de grand stress. Dans de telles situations, les enfants et les ados font des crises. Les pleurs amènent la relâche cardiaque. Le coeur ne peut pas, physiologiquement parlant, battre à une vitesse exponentielle sans limite. Combien de jeunes sportifs meurent d’avoir transgressé ce verrou pour accroître leur efficacité? Combien de jeune professionnel sont ainsi victime d’une crise cardiaque qu’aucun défibrillateur ne peut corriger?

La performance se traduit par une activation du système sympathique, alors que l’humeur dépressive résulte fréquemment d’une activation du parasympathique. Dès lors, se pourrait-il qu’une dépression situationnelle pourrait être nécessaire pour éviter un autre problème cardiaque. Connaissant le rythme de vie de mes deux amis, je ne peux que regretter qu’il n’en ait pas fait de dépression. Cela leur aurait peut-être permis de voir grandir leurs enfants. Leur mort m’aura toutefois conduit à faire cette réévaluation de mes objectifs de vie.

LES NEUROSCIENCES MODIFIENT NOTRE COMPRÉHENSION DES SYMPTÔMES

Servan-Schreiber nous invitait notamment à réapprivoiser notre respiration, ce qui faciliterait une meilleure adéquation de la fréquence cardiaque. Cette compréhension est présente dans la philosophie de nombreuses pratiques orientales, dont le yoga, la méditation, le taï-chi, etc. C’est également présent dans la pratique psychothérapeutique corporelle.

La nourriture de qualité est aussi encouragée par le psychiatre. Un livre que j’adore, «L’Intelligence alimentaire», de la nutritionniste Dominique Béliveau est un bon outil.

Mais cela passera probablement par une psychothérapie pour découvrir l’origine et les gains d’une «performance-à-tout-prix».

  • Quelle a été l’influence des parents de Marie dans son besoin de performer?
  • Pourquoi travaille-t-elle dans l’entreprise familiale?
  • Choix réel ou nécessité?
  • Plaire à qui?
  • Quelle est la part d’anxiété qui se cache derrière les symptômes de la dépression?
  • Quelle est la part des illusions offertes comme repères dans notre société?
  • Et les aspects financiers?
  • A-t-elle de bonnes stratégies de résolution de difficulté?
  • Quelle est la part d’égo à assouplir?

En d’autre mot, la médication est peut-être nécessaire, mais ne risque-t-elle pas de favoriser la poursuite de comportements toxiques pour la personne?

Références :

  • Joseph Campbell, Puissance du Mythe, Éditions J’ai Lu, 1988.
  • Dominique Bélivau, L’intelligence alimentaire, Éditions La Semaine, 2012.
  • Elisabeth Gilbert, Mange, prie, aime, Éditions Calmann Lévy, 2010.
  • Serge Marquis, Pensouillard le hamster, Éditions A. Stanké, 2014.
  • Joël Monzée «Développement de l’enfant et représentations symboliques», in Joël Monzée (dir.), Ce que le cerveau a dans la tête : perception, apparences et personnalité, Éditions Liber, Montréal, 2011: 107-144.
  • Joël Monzée, Évolution des connaissances biotechnologiques et pratiques psychothérapeutiques, Revue québécoise de psychologie, vol.33(2), 2012.
  • David Servan-Schreiber, Guérir, Éditions Robert Laffont, 2003.

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