La charge mentale (2/3): comprendre les multiples raisons d’une dépression pour mieux en sortir

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Il y a au moins 9 causes neurologiques qui génèrent les mêmes symptômes considérés comme les indices cliniques de la dépression. La charge mentale est l'une des origines les plus fréquentes, mais les médicaments ne permettent que de soulager. Existe-t-il des moyens complémentaires pour retrouver sa sérénité?

L’histoire de Marie traitait du sens des symptômes en regard d’une femme submergée par l’intensité de la charge mentale. La dépression frappe à la porte. Elle n’en peut plus. Elle s’effondre. Véronique, sa médecin de famille, va toutefois l’inviter à comprendre le sens de ses symptômes.

En fait, la dépression est parfois un arbre qui cache la forêt, car les symptômes peuvent avoir 9 origines différentes. Est-ce une dépression majeure, une charge mentale trop intense, de l’anxio-dépression, un effondrement de la boucle de stress, une incapacité à trouver et mettre en place des stratégies gagnantes, etc.? La compréhension des besoins de la personne permet d’orienter la direction thérapeutique.

LE CAS DE MARIE

Marie, est à un point tournant de sa vie. Quelque part, il s’agissait de déterminer comment retrouver le plaisir de vivre. Comme plein d’autres personnes, Marie hésitait entre la prise d’antidépresseurs pour normaliser ses émotions ou oser remettre en question quelques éléments de sa vie familiale, sociale et professionnelle. Sa médecin, Véronique, lui proposait alors de comprendre que les symptômes de la dépression ne sont pas toujours les signes d’une dépression!

En effet, Suzanne Renaud, médecin à l’hôpital Douglas de Montréal, a rédigé un chapitre dans le premier livre que j’ai dirigé. Elle nous explique comment les neurosciences viennent nuancer la compréhension de la dépression. Si les antidépresseurs font parfois partie des outils, ils ne sont pas nécessairement idéaux si, comme l’arbre qui cache la forêt, les symptômes découlent d’une autre cause liée à l’expérience de vie et non pas à une dysfonction chimique dans le cerveau.

ENJEUX

Il y a quelques années, les experts en psychiatrie ont discuté, longtemps, du moment adéquat pour prescrire des antidépresseurs à une personne qui venait de perdre un être cher. Le DSM, la bible des troubles psychiatriques, déterminait qu’il fallait attendre six mois avant de prescrire le psychotrope. Or, certaines personnes en deuil sont tellement affectées, qu’elles sont incapables de reprendre le travail. Les médecins se sentaient impuissants pour soulager partiellement la détresse de la personne endeuillée.

C’est ainsi qu’une majorité de ces experts souhaitaient autoriser la prescription d’antidépresseurs deux semaines après le décès d’un être cher. Fondamentalement, il s’agissait de soutenir les personnes ébranlées, alors que sans diagnostic de dépression majeure ou d’anxio-dépression, ils ne peuvent pas prescrire de médicaments. C’est une situation similaire pour Marie qui, démontrant les mêmes symptômes, cherche de l’aide pour passer à travers l’épisode douloureux de sa vie.

L’enjeu clinique est important chez nombre de personnes qui passent à travers des épisodes de vie dans lesquels ils n’arrivent pas à trouver suffisamment de cœur à l’ouvrage. Le spectre du suicide fait craindre un passage à l’acte chez les personnes répondant aux critères de dépression majeure et il est légitime de prescrire des antidépresseurs lorsque les symptômes sont évidents.

LeSoir rapportait récemment que plus de 10% des Belges consommaient des antidépresseurs en 2010. Les données américaines ont montré également une augmentation, notamment chez les enfants et les adolescents, passant de 3.5% à 7% entre 2000 et 2004. Au Québec, cette augmentation chez les jeunes est marquée depuis 2006, avec une progression 58% en quatre ans. En 2017, le Journal de Montréal rapportait qu’un adulte sur quatre consommait des antidépresseurs.

CHOISIR LA BONNE DIRECTION THÉRAPEUTIQUE

François Maranda, directeur du service de psychiatrie des adolescents à Sainte-Justine, expliquait en 2008 à LaPresse que «des médecins prescrivent parfois du Prozac à des jeunes qui n’en ont pas besoin. Ils diagnostiquent une dépression majeure, alors que le patient souffre d’un trouble d’adaptation [avec humeur dépressive, mais] causée par une rupture amoureuse, par exemple. Dans ce dernier cas, la psychothérapie constitue le traitement approprié. Les antidépresseurs ne sont pas nécessaires. Le diagnostic de dépression majeure, c’est un peu comme une poubelle fourre-tout. C’est trop inclusif.»

La réflexion n’est pas banale. C’est un coût substantiel pour le système de santé, alors que la réponse pharmacologique n’est pas nécessairement bien ciblée, là où la psychothérapie et l’activité sportive pourraient être plus efficaces. En effet, les données probantes montrent que la dépression majeure semble, pour la plupart des cas, se résorber dans les six à douze mois après le diagnostic avec l’usage d’antidépresseurs, de la psychothérapie et de l’activité sportive rythmique pratiquée au moins trois fois par semaine pendant au moins une demi-heure. Cette dernière serait d’ailleurs la plus durable, probablement à cause d’une modification des habitudes de vie.

D’autre part, la consommation d’antidépresseurs par les mères enceintes (c’est bien documenté) et les adolescents-non-dépressif (c’est plus récent comme découverte) induit pour, respectivement, l’enfant ou l’ado des risques de dépression à vie. Des neuroscientifiques supposent que les neurones du raphé pourraient être affectés par une consommation inadéquate d’antidépresseurs. Somme toute, cela abime le cerveau au lieu de le soigner.

LES NEUROSCIENCES AU SERVICE DE LA BEAUTÉ DE L’ÊTRE HUMAIN

Les différents portraits de la dépression étant facilement accessibles, concentrons-nous sur les aspects neurologiques. Dans le collectif «Neurosciences et psychothérapie», Suzanne Renaud  explique que les données en imagerie cérébrale montrent les différentes origines neurologiques des symptômes de la dépression, dont plusieurs n’ont rien à voir avec la dépression, et ce, même si un antidépresseur peut tempérer les émotions.

Dre Renaud identifie plusieurs zones qui joueraient leur rôle avec moins d’efficacité. D’abord, elle décrit les patients névrotiques qui ont de la difficulté à déterminer une stratégie pour réagir efficacement dans une situation contraignante. Les symptômes seraient alors associés aux mécanismes de la mémoire procédurale:

  • d’une part, découler d’un développement incomplet ou biaisé des circuits neuronaux contribuant aux divers processus cognitifs et,
  • d’autre part, à une dysfonction au niveau de l’hippocampe qui est très actifs dans les périodes d’apprentissage et de résolution de problèmes.

Ainsi, dès l’enfance, un enfant qui apprend des stratégies efficaces risque moins de tomber en dépression que ceux n’ayant pas la chance d’accroître leur force de résilience.

«QUAND JE SERAI GRAND…»

A cela s’ajoute le phénomène des «gabarits émotionnels», c’est à dire l’image que nous nous sommes construits durant l’enfance. Par exemple, le fils d’un père dépressif peut développer une manière d’être dépressive, car c’est le modèle de référence autour de ses 5 ans: «quand je serai grand, je serai comme papa».

Brièvement, l’enfant syntonise la régulation de son émotivité sur celle de sa mère ou de son père. Les neurones miroirs y jouent un grand rôle qui, lorsque le parent vit des moments difficiles, induisent une résonance émotionnelle perturbant l’équilibre hormonal et comportemental de l’enfant, mais aussi la création de réseau de neurones servant de référence tant pour sa lecture de la réalité que sa manière d’y répondre. Ainsi, l’enfant d’un parent dépressif peut se créer un filtre et des comportements mimant les affects de la mère, sans nécessairement être lui-même dépressif.

S’il découvre d’autres gabarits dans son entourage ou en thérapie, il pourra élargir son registre émotionnel, mais s’il vit dans un environnement fragile, cela peut induire des comportements dépressifs appris tout au long de sa vie. Et ce, sans aucune dysfonction neurologique particulière.

PLANIFIER, QUE C’EST DIFFICILE!

Ensuite, Dre Renaud rappelle que l’implication du cortex frontal droit joue un rôle essentiel dans la planification des actions et la mémoire de travail, alors que le cortex orbito-frontal droit a pour fonction de réguler la tristesse et d’intégrer divers processus cognitivo-comportementaux. Par ailleurs, il a été démontré qu’une sur-activation du cortex préfrontal droit pouvait induire une dramatisation de la réalité. Il semble à cet effet que la pratique de la méditation contrebalancerait ce déséquilibre émotionnel par une activation du cortex préfrontal gauche.

D’autre part, la partie dorsale du cortex cingulaire, impliquée dans les processus de motivation et de réaction à un stimulus externe, pourrait créer des conflits entre les réponses potentielles, alors que la partie ventrale induit des humeurs particulières. Renaud suggère que la partie rostrale, intégrant les signaux des deux premières, devrait être plus active pour diminuer les symptômes de dépression.

LA CHARGE MENTALE DEVIENT ENVAHISSANTE

Enfin, il y a aussi l’activité du détecteur de danger, les complexes amygdaliens, qui régit la peur et la manière de répondre à la menace, par des comportements s’appuyant sur le système végétatif et les hormones de stress. Au départ, la personne s’adapte. Puis, un moment, la charge mentale devient envahissante. Et c’est soit l’agitation, soit la panique, soit l’épuisement.

Une personne se percevant menacée répondrait préalablement au stress par une réaction de fuite ou de conflit par l’action du système sympathique puis, à un certain moment, une réaction dépressive due à l’activation du système parasympathique. Après avoir vainement tenté de fuir, la souris faisant la morte devant le chat est l’exemple le plus évident.

Des difficultés d’adaptation au stress, ou une sous-réaction, pourraient donc générer des symptômes s’apparentant à l’humeur dépressive, sans que cela ne soit une dépression.

PRENDRE LE TEMPS

Les différentes causes des symptômes ne seraient donc pas nécessairement dues à la dysfonction des neurones du raphé qui, elle, serait à l’origine de la dépression majeure et sur laquelle jouent la plupart des antidépresseurs. On peut d’ailleurs espérer que raffiner la capacité de mentaliser, qu’établir un meilleur discernement, qu’offrir des gabarits émotionnels plus proches de la réalité actuelle, qu’établir de meilleures stratégies relationnelles, etc., permettraient d’aider le patient à recouvrer sa joie de vivre. A cet effet, la psychothérapie est une ressource non négligeable.

Pour éviter les théories farfelues, la science s’est basée sur la nécessité d’établir une méthode rigoureuse et sur la production de données probantes. Dès lors, il est parfois facile d’oublier que l’être humain, sa psyché et ses rêves ne pourront jamais être réduits à un ensemble de processus pharmacologiques qui peuvent être mimés par une molécule artificielle. Vous en conviendrez comme moi, une vie sereine s’obtient par des voies plus complexes et plus sensibles.

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