L’impact de la violence éducative en milieu scolaire

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Trop de gens croient encore qu'il faut casser un enfant pour bien l'éduquer. Certains adultes utilisent ainsi différentes formes de violence psychologique pour éduquer les jeunes. La situation dénoncée dans une école primaire des Laurentides permet de débattre dans la sphère publique des limites des pratiques éducatives coercitives. Sans nier l'inacceptabilité des agissements non-professionnels de l'enseignante, il est utile aussi de prendre soin des personnes qui rencontrent de larges souffrances: élèves, parents et professeurs.

Comme la plupart d’entre-nous, je ne connais que ce que les médias ont diffusé ce qu’il s’est passé à Ste-Marthe-sur-le-Lac. Les journalistes, eux-aussi, ne connaissent qu’une partie de la situation qu’ils essayent de documenter au mieux.

Malheureusement, une personne peut être en survie pendant des années et la moindre anicroche peut la faire exploser de colère. Je n’excuse pas les comportements, mais sans preuve d’une intention perverse, il est préférable d’essayer de comprendre en étant magnanime.

L’IMPACT DE LA VIOLENCE ÉDUCATIVE EN MILIEU SCOLAIRE

Mon fils a vécu une telle situation en 1ère année et cela a pris des mois pour reconstruire ce qui avait été brisé. Il avait dénoncé le racisme de son enseignante (envers un autre enfant) et il a été son souffre-douleur pendant un an. Là, il y avait une intention perverse de la part de son enseignante.

J’en étais d’autant plus conscient que mon travail de psychothérapeute m’avait amené à accompagner des enfants, devenus ados, qui portaient encore les traces de la méchanceté gratuite de cette personne. Ils avaient vécus des moments difficiles et ils m’exprimaient comment cela les avaient marqués. Cela me permettait ainsi de comprendre le triste sort de mon fils…

À l’époque, j’avais décidé d’intervenir en respectant la hiérarchie de l’école, même si une célèbre animatrice d’une radio toute aussi célèbre me proposait une tribune pour dénoncer publiquement la situation dramatique vécue par mon gars.

L’été qui suivit, une femme me contacta. Elle m’expliqua qu’elle avait fait un retour aux études, au milieu de sa trentaine, pour devenir enseignante au primaire. Elle venait tout juste de terminer sa quatrième année de formation universitaire. Elle était dans cette classe pour son tout dernier stage, mais elle avait failli tout abandonner, raconta-t-elle, en constatant la méchanceté gratuite de cette enseignante.

J’y choisis de rester fidèle à ce que je croyais être juste. J’aurais pu laisser parler ma colère. D’autant que j’avais, moi aussi, subi de la violence quand j’étais en maternelle mais, à cette époque, les punitions corporelles étaient acceptées.

Je ne voulais pas que mon éventuelle dénonciation publique ne crée une onde de choc comme celle qui secoue l’école primaire de Ste-Marthe aujourd’hui, car – dans ces situations – ce sont les supers-profs qui se sentent blessés.

J’ai préféré écrire un livre pour encourager la bienveillance dans nos maisons et nos écoles, alors que j’étais aussi confronté par des intervenantes de la DPJ qui occultaient – pour une raison qui m’échappe encore – la violence physique d’un père envers sa fillette.

J’avais besoin d’écrire quelque chose de positif. J’avais besoin d’ouvrir des portes et des fenêtres autant pour retrouver mon oxygène que pour guider les adultes vers des stratégies bienveillantes.

Mon livre « Et si on les laissait vivre » est devenu best-seller depuis lors.

L’AIDER À SE RECONSTRUIRE

Quant à l’aide apportée à notre fils, ma conjointe et moi avons privilégié de l’aider à développer des aptitudes qui l’aideront à se construire comme être humain. Nous l’avons soutenu. Nous l’avons aimé. Parfois, nous nous sentions si impuissants. Nous nous en voulions de le laisser dans un tel environnement toxique. Quelle douleur ressentions-nous! Mais, en rien comparable à la sienne, c’est certain.

Nous avons aussi beaucoup discuté des comportements acceptables ou à éviter autant que faire se peut, car chaque petite gaffe était utilisée par son enseignante pour le blesser devant toute la classe. Nous l’avons aidé à comprendre que ce qu’il vivait n’était pas acceptable, même si la direction de son école ne semblait pas agir pour le protéger. Finalement, je l’ai retiré de l’école une fois la période d’évaluation terminée…

Sept ans plus tard, je ne regrette pas ce choix, car cette année d’horreur a été compensée par deux années d’école à la maison durant lesquelles Jade – qui est devenue mon bras droit désormais – et Jean-Guy – un ami, professeur de Cégep à la retraite et auteur-compositeur-interprète – ont pris soin de lui. Il a été chéri par sa marraine et son conjoint, ainsi que d’autres amis soucieux de son bien-être.

Il m’accompagnait dans les radios ou sur les plateaux de tournage télévisés, ce qui stimula son envie de faire du montage vidéo. Il vint avec moi dans les salons du livre où il rencontra plein d’auteurs, ce qui contribua à développer son goût pour la lecture.

Il y eut même un jour où il fit ses devoirs assis à côté du ministre de l’Éducation, alors que Jean-François Roberge et moi avions une rencontre de travail, dans le grand bureau du Complexe Fullum qui abrite le MEQ.

Ensemble, nous l’avons aidé à grandir en l’aidant à sentir cette force tranquille qui l’habite désormais et qui lui permet de passer à travers des moments moins agréables ou plus difficiles, dont les inévitables tensions entre pairs depuis qu’il est retourné à l’école ou le manque de sens de certaines situations ubuesques.

Je suis conscient que c’est un luxe que toute les familles n’ont pas. Je suis aussi conscient que les postures d’autorité réveillent les traumas accumulés par les parents quand eux-mêmes étaient des enfants, ce qui peut expliquer la décharge de colère des uns et des autres qui ont subi, à un moment donné ou un autre, des abus psychologiques ou physiques par des adultes en autorité.

UN AXE D’ACTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE

Certes, les enfants et les ados doivent apprendre à respecter le code de vie. Le permissivisme est une forme de violence éducative (VEO) comme l’abus de pouvoir psychologique. Quoi qu’il en soit, la VEO n’a plus sa place dans notre système d’éducation, car cela crée des traumatismes inutilement.

D’ailleurs, c’est devenu un enjeu de santé publique. Le CDC aux États-Unis dénonce les différentes situations de VEO, car on dispose désormais de données scientifiques qui expose les conséquences à court, moyen et long termes sur la santé des individus. Et la Santé publique au Québec est désormais active pour sensibiliser les adultes afin de réduire les risques de VEO, tant dans les maisons que les institutions.

On sait qu’un élève insécurisé va maximiser ses ressources neuronales pour se protéger (attaque, fuite ou sidération) et ne sera plus disponible pour les apprentissages scolaires. On ne doit pas nécessairement enlever l’adversité, mais on se doit – comme parents ou intervenants – de prendre conscience des conséquences de la VEO sur le développement de l’enfant ou de l’ado.

Il y a souvent une confusion entre la résilience et la résignation de l’élève, alors que les enfants sages sont parfois bien plus terrifiés (sidération) que les élèves turbulents.

À termes, son cerveau disposera d’un volume moindre que la normale s’il subit de la VEO à la maison, à la garderie ou à l’école. Il disposera de moins de ressources de résilience et aura de la difficulté à renoncer lui-même au cycle de la violence éducative quand il sera adulte. Il aura aussi tendance à justifier la VEO, car il croira que c’est ainsi qu’on éduque un enfant.

Depuis 20 ans, de nombreuses écoles et centres de services scolaires m’engagent pour former leur personnel au Québec alors que, depuis quelques années, les communautés scolaires francophones des autres provinces canadiennes m’invitent aussi pour former leur personnel à la neuroéducation, ainsi qu’à l’usage de pratiques éducatives bienveillantes pour encourager le respect des codes de vie.

L’intention des autorités scolaires est claire et nette: nous devons exercer la discipline autrement qu’avec des méthodes coercitives, car elles affectent le fonctionnement psychologique et nuisent à la persévérance scolaire.

Et tous les membres des équipes scolaires que je rencontre ont à coeur de veiller au bien des élèves, mais ils se sentent parfois démunis face à certains comportements dérangeants ou irritants.

Cela dit, le métier d’enseignant est difficile et cela l’est de plus en plus, car la société est de plus en plus complexe. Je leur explique comment ils peuvent prendre soin d’eux pour éviter de basculer dans des comportements qui compliquent plus la situation qu’ils n’amènent de réels changements d’attitude chez leurs élèves.

QUI SAIT CE QU’IL S’EST PASSÉ À STE-MARTHE?

À Ste-Marthe, on ne le sait pas. Et on ne le saura peut-être jamais.

La dame est peut-être en grande détresse. Rien ne peut justifier ses comportements, mais elle est peut-être en grande souffrance et a besoin d’aide. On ne sait pas non plus tout ce que le directeur a tenté de faire pour éviter les situations inacceptables dénoncées depuis quelques jours.

La crise sanitaire a bousculé beaucoup de personnes et chacune réagit comme elle le peut.

Il eut été, par contre, préférable qu’elle ressente le besoin de prendre un (long) congé de maladie plutôt que de poursuivre son travail d’enseignante, mais avait-elle seulement assez de recul pour se voir aller et comprendre qu’elle avait besoin d’aide?

Ce qu’il faut savoir, c’est que l’employeur n’a pas beaucoup de marge de manoeuvre pour mettre en arrêt de travail une employée en difficulté.

C’est toujours délicat, car la personne en survie croit qu’on veut lui nuire, donc résiste.

Les échos que j’ai en regard de sa direction, c’est qu’elle était compétente et les actions menées ne peuvent être divulguées publiquement. D’ailleurs, il a reçu le soutien de son équipe-école. Toutefois, il a sans doute été prudent de le retirer, car les parents avaient perdu confiance. Comme dans une équipe sportive, on change le coach pour insuffler un vent nouveau.

Et, au Québec, le syndicat se croit parfois forcé de défendre l’indéfendable dans la logique de leur fonctionnement. En Ontario, le syndicat sera beaucoup plus nuancé et ne défendra pas nécessairement son membre en cas de récidive de comportements non-professionnels.

Maintenant, cette malheureuse situation provoque une onde de choc dans nos communautés et, peut-être, que cela donnera plus de moyens pour les membres (parents, collègues et direction) pour affirmer que ces méthodes disciplinaires n’ont plus leur place.

En effet, on peut faire de la discipline sans avoir besoin des stratégies coercitives, comme je le mentionnais auparavant.

STOP VEO

Le lien que nous tissons avec les enfants, les ados ou les élèves peut être suffisamment sécurisant pour que le jeune ne ressente pas l’envie de tester les limites… S’il le fait, c’est qu’il y a un besoin, une peur ou un manque auquel l’adulte peut (peut-être) répondre pour le sécuriser.

J’ai enseigné au primaire durant plusieurs années. Je n’ai jamais eu besoin de méthodes coercitives, au contraire. Et mes anciens élèves pourraient en témoigner.

Maintenant, prenons soin des enfants et des ados parfois bousculés par des adultes en difficulté et réaffirmons collectivement que rien ne justifiera jamais la violence éducative.

Mais prenons soin aussi des adultes en difficulté, car notre compassion peut leur tendre la main pour qu’ils transforment leur méthodes éducatives.

En effet, il y a d’autres moyens d’éduquer, mais cela demande parfois du courage pour rester cohérents, constants et bienveillants.


Attention!

S’il est tentant d’enregistrer une personne à son insu pour dénoncer des comportements non-professionnels et que cela peut aider l’employeur ou l’ordre professionnel à prendre une décision qui s’impose, il est interdit de par la Loi de diffuser cet enregistrement dans les réseaux sociaux… Pire, cela pourrait faire en sorte qu’un Juge refuse la preuve à cause d’une mauvaise utilisation de l’enregistrement si l’affaire était portée en justice.

Si vous avez besoin d’aide, n’attendez pas de vous rendre au bout du rouleau. Il est urgent de prendre soin de soi pour éviter de déborder. Nos réactivités, même si elles sont légitimes, nous amènent parfois à être plus agressifs que souhaité. Si vous constatez que vos mots ou vos gestes sont déplacés ou disproportionnés, c’est le signe qu’il faut aller chercher de l’aide, auprès de votre famille, de vos amis, de votre communauté ou des professionnels de la santé.

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