Le choix de l’école à domicile

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Si la scolarisation est aujourd'hui obligatoire jusqu'à l'âge de 16 à 18 ans selon les pays, il existe différentes formules qui respectent la légalité. Parmi ces formules, l'école à domicile est une solution en pleine expansion ces dernières années, du moins au Québec. Pour soutenir les familles qui font ce choix, il existe des associations de parents, alors que la Direction de l'enseignement à domicile (un département du ministère de l'Éducation) accompagne également ces familles.

Fondamentalement, l’école publique est le lieu d’apprentissage par excellence. Même si on attribue au brave Charlemagne la création des écoles, celles-ci s’adressaient aux jeunes nobles pour s’affranchir de l’Église qui, jusque là, contrôlait les échanges politiques.

Même si on associe Charlemagne à la création des écoles non-religieuses, ce n’est qu’au début du XIXe siècle que l’École comme on la connait aujourd’hui a pris naissance. Un des problèmes d’ailleurs, c’est qu’elle n’a que peu évolué depuis 200 ans.

L’ÉCOLE OBLIGATOIRE, UNE MESURE DE PROTECTION DES ENFANTS

En fait, le premier réseau d’écoles publiques est attribué à ces intellectuels qui osèrent remettre en question le pouvoir royal anglais et créèrent les États-Unis d’Amérique. Les Pères Fondateurs – dont Georges Washington, Benjamin Franklin, Thomas Jefferson – voulaient trouver un moyen efficace pour éviter toute forme de dictature. Pour eux, l’Éducation était garante des valeurs civiques.

Quatre-vingts ans plus tard, les petits-enfants des Fondateurs sont au pouvoir et ne veulent pas être remis en question. Le Président Abraham Lincoln s’exclama alors « Si l’enseignement coûte trop cher, essayez donc l’ignorance! » Malheureusement, le Congrès l’a pris au mot. Et le réseau public s’est progressivement, mais subtilement, appauvri…

Dans le même temps, l’école est aussi devenue un moyen d’émancipation, surtout pour la bourgeoisie. Avec l’industrialisation, les enfants étaient exploités dans les mines et les entreprises dès leurs 6 ans. Un mouvement apparaît alors pour protéger les jeunes. À cet effet, le début du XXe siècle apparaît comme un moment crucial en Europe. En Belgique, par exemple, l’école est devenue obligatoire pour les jeunes de 6-11 ans en 2011, puis 6-14 ans en 2014.

Aujourd’hui, l’instruction scolaire est obligatoire dans la plupart des pays occidentaux jusqu’à 16 ou 18 ans. Et, parallèlement, le nombre d’années de scolarisation ne fait que croitre. Si ma grand-mère était titulaire de classe à 14 ans, il en faut désormais 24 pour débuter sa carrière d’enseignant! On était médecin ou avocat vers 18 ans au début du XXe siècle, alors que l’obtention du droit de pratique pour ces professions requière 28-32 ans.

DES ÉQUIPES ÉDUCATIVES PLEINE DE BONNE VOLONTÉ, MAIS QUI S’ESSOUFFLENT. 

Pour les parents, le choix de l’école n’est pas toujours une chose aisée. La logique administrative a parfois malmené les valeurs qui étaient présentes au moment de la mise en place d’un réseau. Les visionnaires qui, comme Paul Gerin Lajoie, ont façonné les systèmes scolaires moderne étaient plein d’espoir, mais la situation s’est détériorée petit à petit.

Au Québec, les commissions scolaires regroupent des dizaines d’écoles publiques, mais il y a aussi des écoles privées. Décriées à cause de leur descriptif « privées », elles sont pour la plupart des organismes sans but lucratif, mais organisée autour d’un projet pédagogique singulier.

En Belgique, il y a peu d’écoles privées, mais il y a deux réseaux: le public et le libre (catholique). La France offre un système hybride, avec des écoles publiques et des écoles privées. Ces dernières, comme l’ENA, sont souvent le passage obligé pour accéder à certains postes de haut calibre.

Certains pays, comme le Québec, imposent la fréquentation – sauf une dérogation remise en question chaque année – de l’école de quartier. Quand j’étais enfant, la Belgique permettait l’inscription dans l’école de son choix. Je prenais le bus public pour me rendre dans une école à Chênée, alors qu’Angleur, ma municipalité, offrait quatre solutions plus proches. Les parents pouvaient choisir les projets pédagogiques avant la proximité. C’était encore plus vrai pour le secondaire.

Enfin, le Québec a fait le choix d’intégrer les enfants en difficultés d’apprentissage dans les classes régulières et d’éviter le redoublement pour que l’enfant reste avec son groupe d’âge. Si ces choix sont précieux en termes de socialisation, ils conduisent à de larges difficultés en termes de gestion de classe et de gestion des différents niveaux d’acquis. C’est un des facteurs majeurs qui conduit à la surconsommation de psychostimulants pour les élèves affectés par une moindre disponibilité aux apprentissages scolaires.

Cela dit, tous ces systèmes sont soumis aux choix politiques. Les enseignants belges avaient fait une longue grève (7 semaines) en 1990, en reprenant la phrase de Lincoln comme cri de ralliement pour encourager de meilleures conditions pédagogiques.

Bien que les accords furent signés, jamais les fonds n’arrivèrent dans les écoles. Et, malgré les apparences, c’est ainsi dans de nombreux pays. Les équipes scolaires essaient de pallier. Le dévouement a beau être présent, les conditions de travail sont de plus en plus exigeantes.

À cela s’ajoute la charge administrative et l’étatisation des contenus pédagogiques. Les ministères imposent des tâches qui étouffent de plus en plus la bonne volonté des équipes éducatives. Et comme le nombre d’enfants en difficulté ne cesse de croitre, les écoles s’essoufflent parfois pour rencontrer les besoins des élèves en termes de conditions idéales d’apprentissage.

L’ÉCOLE À LA MAISON

L’école à la maison est une formule de plus en plus souvent choisie lorsque les enfants rencontrent trop de difficultés et c’est parfois la meilleure option pour guider le jeune à développer son autonomie. Les parents sacrifient un salaire ou se regroupent pour offrir un cadre d’apprentissage plus adapté. D’autres se regroupent et utilisent les forces des uns et des autres, tout en minimisant l’impact financier.

Au Québec, les parents peuvent s’appuyer sur trois institutions:

  1. l’Association québécoise pour l’école à domicile offre des ressources, surtout en créant des liens entre les familles et en défendant le droit des familles à choisir le mode de scolarisation; l’inscription est nécessaire pour éviter des plaintes pour ‘négligence éducative’ auprès des services de la protection de la jeunesse;
  2. les centres de services scolaires régionales (et l’inscription à l’école de quartier) soutiennent alors les parents dans l’établissement d’un plan éducatif dans lequel les parents expliquent leurs intentions, les contenus et les démarches pour s’assurer de l’atteinte des objectifs ministériels; il y a également la possibilité de passer des examens en fin d’année;
  3. plus récemment, la Direction de l’école à domicile a été créée par le ministère de l’Éducation et des Études supérieures en 2018, sous une initiative conjuguée des ministres Sébastien Proulx, puis Jean-François Roberge; ce département accompagne les parents pour s’assurer que les contenus transmis aux enfants soient cohérents avec les programmes scolaires et qu’ils puissent réintégrer – si besoin – le réseau scolaire si les parents ne peuvent plus assurer l’école à la maison; il s’agit également d’éviter que des sectes ou des regroupements religieux n’isolent, sur les plans scientifique, social et culturel, trop les jeunes d’âge scolaire.

Par ailleurs, il existe – mais uniquement en anglais – une école de formation en ligne qui, via des vidéos, webinaires et exercices à compléter, permet d’accéder aux savoirs usuels. Il semble que cette filière permette l’accès aux cours collégiaux, du moins les institutions privées. Les jeunes bilingues disposent ainsi d’une ressource pour réaliser leur primaire et leur secondaire à la maison.

UNE SOLUTION DE PLUS EN PLUS FRÉQUENTE

Ces dernières années, j’ai constaté un nombre grandissant de jeunes usés par les différents défis rencontrés dans les écoles.

Certains ont de telles difficultés d’apprentissage que les ressources sont impossibles à mettre en place, malgré toute la bonne volonté des équipes éducatives. Je ne suis pas certain que le modèle d’intégration mur-à-mur soit adéquat, ni pour les élèves, ni pour les enseignants. Et comme de plus en plus d’élèves se retrouvent avec de gros défis, les classes de 25 à 35 jeunes induisent alors un contexte scolaire comprenant trop d’obstacles. Cela devient insurmontable sans un changement de contexte d’apprentissage.

Le décrochage scolaire au secondaire touche, par ailleurs, des jeunes en détresse. Toutefois, il y a trois fois plus de jeunes doués qui abandonnent leur scolarisation que de jeunes qui ont des difficultés d’apprentissage. L’ennui les fait se désorganiser ou partir dans la lune. Le diagnostic TDAH n’aide pas, car c’est souvent une mauvaise direction thérapeutique pour ces jeunes. Alors, ils prennent la porte. Parfois, les écoles offrent un support pédagogique, mais toutes n’ont pas nécessairement les ressources.

D’autres jeunes sont en stress post-traumatiques après avoir subi des actes d’intimidation orchestrés par des pairs ou de la violence éducative ordinaire chronique induite parfois par des parents, parfois par des adultes qui, normalement, avaient pourtant le mandat de prendre soin des jeunes. De plus, le drame de la violence éducative ordinaire est double:

  1. le jeune finit par croire que les reflets le définissent; il se construit une identité sur l’ignorance et la bêtise humaine;
  2. c’est que de nombreux adultes ferment les yeux ou, pire, la justifie.

Conséquemment, les jeunes sont meurtris à bien des niveaux. Le réflexe de la psychiatrisation des défis a des limites. On ne peut pas taire indéfiniment la douleur de celle ou de celui qui a été malmené…

NOTRE MODÈLE

Dans notre situation familiale, il faut ‘reconstruire’ ce qui a été bousculé pendant des mois. Une fois la porte ouverte sur des possibilités, il s’agit alors de regarder ce qui fait le plus de sens… Notre modèle est bon pour nous, peut-être pas pour d’autres enfants.

Bien que je dispose d’une formation d’enseignant primaire, je ne voulais pas m’en servir dans ce cadre. Au même titre que je ne peux pas être le psy de mes enfants! Alors, nous avons engagé une tutrice qui, quelques heures par semaine, venait lui présenter la matière. Mélanie et moi, nous travaillons à la maison, donc on pouvait assurer la supervision des ‘moments libres’ ou, plutôt, les moments où notre fils s’appliquait à résoudre les tâches données par sa tutrice.

Si sa capacité d’apprendre n’était pas affectée, sa ‘disponibilité’ affective était altérée. Cela prendra trois mois à sa tutrice pour qu’il retrouve son goût d’apprendre. En même temps, il s’est acquitté des matières de sa 2e année primaire en quatre mois. À temps pour que sa tutrice puisse partir en congé de maternité et donner naissance à un beau bébé bien en santé…

Le reste de l’année scolaire lui a permis d’explorer d’autres choses. Du karaté et du ski en groupe, pour travailler les habiletés sociales. Des activités d’intégration des acquis avec sa maman. Des musées et des salons avec moi. Des arts plastiques avec sa quasi-grand-mère-d’adoption qui mêlait parfois des principes physiques ou chimiques et des projets qui demandaient plus de patience et d’attention. De la musique et de la philosophie avec un de nos bons amis, jeune retraité du Cégep, mais surtout philosophe et musicien hors pairs. Harmonica, puis guitare. Quant aux cours de philo, les échanges étaient basés sur l’expérience de l’enfant, plutôt que l’adulte n’impose sa logique. Une manière plus cohérente de faire de la philosophie.

Par ailleurs, il m’accompagne souvent dans mes déplacements, du moins quand l’activité est possible. C’est ainsi qu’il a participé à de nombreux salons du livre, alors que nous en profitions pour visiter des musées ou apprendre un peu d’histoire du Québec. Par ailleurs, il côtoie des auteurs et découvrent un nombre incalculable de livres, ce qui est une manière de le stimuler dans ses apprentissages. Il y développe aussi son autonomie dans un cadre sécuritaire, puisque – d’un salon à l’autre – il est devenu connu des différents auteurs. Enfin, il est également venu avec moi sur les plateaux de télévision ou à la radio. Un jour, il a même fait ses devoirs assis à côté du ministre de l’Éducation, alors que nous étions en réunion de travail.

L’année prochaine, sa tutrice reviendra de son congé de maternité pour l’accompagner. Objectif: faire sa 3e et sa 4e en une année scolaire, pour ainsi sauter un an d’école primaire. Avec l’accord de la commission scolaire, il passera les examens finaux de 4e avec une année d’avance sur son groupe d’âge. Cela lui permettra d’être en cohérence avec son groupe scolaire et ses intérêts cognitifs.

On aurait pu lui faire passer des tests psychométriques auprès d’un neuropsychologue, mais cela aurait conduit au même point. Sauf qu’ici, il aura vécu les apprentissages de chaque année, ce qui n’est possible que dans un contexte de scolarisation individualisé.

Ces deux années hors-du-temps sont peut-être la première trace du sens que nous avons pu donner pour transcender l’absurde. La situation cauchemardesque aura permis, bien malgré elle, de faire du bien!

Et on verra pour la suite…

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