Évaluations en neuropsychologie (4/5): du bon usage des tests psychométriques

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Pour identifier les forces et les défis d'une personne, il faut user de discernement! Sinon, cela ne vaut guère mieux que de lire son horoscope, car les biais cognitifs induisent l'évaluateur en erreur. Ce qui est vrai, c'est la détresse de la personne. Or, le diagnostic donne une direction thérapeutique qui pourrait être erronée par manque de discernement.

Avec les derniers textes portant sur les diagnostics en psychiatrie, plusieurs personnes m’ont interpellé sur l’utilité des tests psychométriques effectués dans des cliniques spécialisées. L’objectif n’est pas de critiquer une pratique professionnelle et encore moins les personnes qui l’exercent. Par contre, il est important de questionner l’usage des conclusions qu’on retrouve de plus en plus fréquemment dans des rapports d’évaluation chez les enfants et les ados.

Permettez-moi une analogie. La voiture n’est pas responsable d’un accident. Bien sûr, il y a des autos de bonne qualité et d’autres qui sont en mauvais état. Toutefois, c’est le conducteur qui est responsable de sa conduite et, éventuellement, d’un accident… Il se peut qu’une voiture subisse des dommages dus à une autre sans que la première n’ait été mal contrôlée, mais cela arrive.

En résumé, une évaluation en psychiatrie peut être utile. C’est une photo des ressources d’une personne à un moment donné. Le danger, c’est de lui porter une importance sans tenir compte de ses limites. En fait, ce sont les motivations et l’interprétation qui sont généralement problématiques. Je m’explique en deux textes, dont voici le premier.

LA SCIENCE EST BASÉE SUR UNE REMISE EN QUESTION CONTINUE DES THÉORIES

La base de la Science, c’est de questionner tout modèle théorique pour faire évoluer les connaissances de notre monde physique et biochimique. Les théories évoluent donc à travers les années. Richard Béliveau s’exprima, d’ailleurs, un jour à l’antenne de FM98.5 – une radio montréalaise – en disant « chaque matin, je me réveille avec 10 théories; chaque jour, j’en brise 15, les miennes comme celles de mes collègues. » Somme toute, une « théorie scientifique » n’est pas scientifique. C’est le questionnement de cette théorie qui est scientifique. Et la théorie n’est valide qu’à partir du moment où on accepte qu’elle puisse être remise en question.

Il est clair que cela peut déranger qu’on discute cela avec le grand-public. Il est certain que cela chatouille les égos. Un peu, beaucoup, passionnément. Pour certains, il est parfois plus facile – intellectuellement – d’éviter d’aborder les problèmes complexes. Pour d’autres, ils croient qu’on critique leur profession. Pourtant, questionner une théorie traitant de l’être humain, aborder ses limites du modèle scientifique et proposer des moyens pour essayer d’en réduire les risques de mésusage des actes médicaux est un des fondements de l’éthique clinique.

C’est l’essence d’une démarche réflexive visant l’amélioration des pratique. C’est ainsi que, précédemment, j’ai exploré quelques limites des diagnostics psychiatriques, notamment en ce qui concerne le trouble déficitaire de l’attention (TDAH) et la dépression. La psychiatrie étant une science clinique, basée sur le jugement humain. Et c’est donc tout à fait humain que le jugement clinique soit affecté par les théories auxquelles croit le médecin. C’est ainsi que les sciences de la santé mentale ont eu deux réflexes ces dernières années:

  1. le médicament fonctionne, donc la maladie était bien présente; le médicament ne fonctionne pas, c’est qu’on a pas trouvé la bonne molécule;
  2. le recours à des tests psychométriques, proposés par les universitaires pour quantifier la fréquence de certains indices de la maladie.

LORS D’UN PROCÈS, LA SÉLECTION DES EXPERTS EST PRÉCIEUSE

Comme je le mentionnais plus haut, la psychiatrie est une science clinique. Elle repose sur une évaluation des aptitudes et comportements d’une personne en détresse. L’analyse peut s’aider de critères, mais elle reste soumise aux croyances et aux compréhensions de l’expérience humaine. Elle ne sera jamais une science exacte. Il n’y a pas si longtemps, l’homosexualité était considérée comme une affection psychiatrique à rectifier.

L’expert va – à l’aide d’observations cliniques ou d’une passation de tests – déterminer les éléments positifs ou questionnables, voire problématiques. Il va proposer une manière d’analyser les différents comportements. Il y a des critères, mais la subjectivité reste de mise.

Carl Jung avertissait déjà ses étudiants de faire attention à ce que chacun portait comme idées, croyances, perceptions, etc. C’est aussi une des raisons pour lesquelles la psychiatrie a souvent été critiquée, car les modèles reposent sur nombre de biais de perception.

À tort ou à raison, cette réalité a conduit à une problématique éthique. L’Actualité médicale a déjà publié un dossier complet sur ce sujet. En fait, une stratégie utilisée par la Défense de personne accusées lors des grands procès repose sur le recours à une série de psychiatres-experts qui évaluent l’accusé.

C’est sans doute plus fréquent aux USA qu’au Canada, mais l’accusé peut ainsi requérir 10 ou 15 avis parmi les meilleurs experts de la région. Cela coûte cher, mais l’accusé y gagne sur deux tableaux:

  1. la défense retient le(s) expert(s) les plus utile(s) pour essayer d’établir une non-culpabilité ou, du moins, des circonstances atténuantes permettant de diminuer la sanction pénale;
  2. l’autre partie – la Couronne – ne peut plus faire appel à ces experts, même s’ils ne sont pas « conservés » dans la liste des experts de la Défense; c’est donc une manière d’éviter toute expertise qui viendrait défaire le jeu de carte de la défense…

Cela fait plusieurs années que des médecins québécois militent pour proposer une solution qui réduirait l’escalade. Une des solutions souhaitées, ce serait de recourir à une banque d’experts, dont trois psychiatres seraient sélectionnés. Individuellement, ils évalueraient l’accusé (présumé innocent) et rendrait un rapport commun lors du procès.

Cela ne veut pas dire que les experts manquent d’impartialité, cela veut dire simplement que le processus diagnostique en psychiatrie est un jugement humain des actes d’un autre humain. C’est sur l’aspect humain que je souhaite attiré votre attention. C’est autant une force qu’un défi. Je ne crois pas qu’une machine serait en mesure, aussi intelligente soit-elle, de plonger dans les profondeurs de la psyché humaine.

Somme toute, l’expert se sert de critères (DSM-5, PDM ou CIM-10), mais c’est soumis aux forces et défis de l’évaluateur. S’il croit être impartial, cette croyance est déjà un biais qui altère la qualité de l’évaluation. S’il se présente comme « expert de… », les risques sont tout aussi élevés de minimiser certains traits et d’accentuer d’autres. C’est humain, mais c’est préjudiciable.

L’INTERNEMENT PSYCHIATRIQUE EST-IL SANS BIAIS?

Les psychiatres peuvent, par exemple, demander l’internement d’une personne pendant trois semaines. Normalement, la personnalité va finir par ressortir. Cela va leur permettre de mieux déterminer les forces et les défis d’une personne en situation de détresse. Les notes apportées par tout le personnel aideront éventuellement à préciser la décision du médecin. Toutefois, cela reste un jugement basé sur des perceptions.

Toutefois, tient-on compte de la réalité de l’expert ou de la réalité du patient? Par exemple, imaginez-vous être confiné dans une aile psychiatrique comme l’illustre le roman de Ken Kesey, Vol au dessus d’un nid de coucou, brillamment mis en images par Milos Forman. Comment réagiriez-vous? Seriez-vous calme? Seriez-vous inquiet? Seriez-vous disposé à répondre patiemment à toute forme de sollicitation d’un membre du personnel ou d’un congénère?

En d’autres mots, est-ce que l’internement est toujours une bonne chose? Parfois, oui. Parfois, non. Quoi qu’il en soit, normalement, la décision est soumise à la décision d’un juge qui, au départ des observations de l’équipe médicale, choisira de restreindre ou de libérer la personne. Mais, comme la personne est internée et que ses proches sont exclues du processus, la décision du juge repose uniquement sur les observations de l’équipe médicale.

LA DÉCISION DE DONNER UNE MÉDICATION EST-ELLE SANS BIAIS?

La théorie que certains experts défendent, c’est que, si une médication fonctionne plus ou moins, c’est la preuve qu’une maladie psychiatrique est belle et bien présente. Toutefois, les doses utilisées sont parfois tellement importantes qu’elles conditionnent dramatiquement la chimie du cerveau d’une personne. Les comportements deviennent plus neutres. Dans le cas de psychoses, c’est nécessaire. Dans d’autres cas, c’est questionnable sur le plan éthique.

Récemment, l’Actualité Médicale rapportait que 50% des personnes hospitalisées durant de longues périodes reçoivent des antipsychotiques. Être coincé dans une chambre, même pour des raisons médicales, peut déclencher les mécanismes de défense. C’est sain, même si c’est dérangeant. Nous devrions peut-être nous interroger sur les conditions de vie d’une telle mesure médicale, tant pour la personne hospitalisée que pour le personnel…

Enfin, la médication peut être parfois utilisée comme support nécessaire pour éviter des drames, mais est-ce que le diagnostic est nécessairement valide? Est-ce qu’on répond vraiment aux besoins de la personne en termes de développement de son autonomie affective? Se pourrait-il que, parfois, on la maintienne dans une vie qui devrait être réévaluée, comme pour Marie?

Pour tenter de réduire les risques de se tromper dans le processus diagnostique en psychiatrie, on constate le recours à des tests psychométriques. Les institutions scolaires, par exemple, vont demander que les parents fassent passer une batterie de tests pour déterminer les aides qui seront accordées à un élève ou un étudiant. En quoi cela consiste?

ÉVALUER LES FORCES ET LES DÉFIS

La psychométrie est une science appliquée qui permet, au moyen de questionnaires, de dresser un portrait des forces et des défis d’une personne. Très utilisée dans le monde des affaires, les évaluations des traits de personnalité faciliteraient le recrutement de nouveaux cadres et employés stratégiques. Cela évite bien des désagréments pour les hauts-responsables au moment de confier des responsabilités sensibles à un nouveau collaborateur.

Depuis quelques mois, je suis membre d’ALIAS, un regroupement d’entrepreneurs créé en 2018 par Serge Beauchemin. Il y a quelques semaines, il nous a offert la possibilité de découvrir un test psychométrique développé par Ngenio, une start-up montréalaise. Le Mobilisation et performance organisationnelle (MPO) s’effectue en ligne et l’analyse des réponses permet de mieux cerner les aptitudes des membres d’une équipe ou d’éventuels nouvelles personnes à y intégrer.

Curieux, j’ai passé le test psychométrique MPO. Le rapport, reçu quelques heures plus tard, m’a fait sourire. Je ne suis pas devenu scientifique pour rien. Je comprends mon désir de développer minutieusement, étape par étape, des projets sur le long terme! Et cela m’a encore moins étonné de lire une série d’items qui « expliquent » pourquoi je me sens mieux à la tête de mon entreprise que dans un laboratoire universitaire. Pourtant, aucune question ne se rapportait spécifiquement à ces éléments.

La qualité d’un test permettent de faire ressortir des aptitudes qui identifient les traits de personnalité. Selon le regard, ils peuvent apparaître comme des forces ou des défis. En d’autres mots, mes aptitudes peuvent être très utiles dans un cadre scientifique, mais feraient de moi un bien pénible fonctionnaire! Si je travaillais consciencieusement dans un ministère, mes collègues et les citoyens pourraient me maudire dix fois par jour. Je ne serais tout simplement pas à ma place.

Et c’est là qu’un test psychométrique, tout comme une expertise psycholégale, peut être utile: identifier les traits de caractères et établir, à charge et à décharge, les forces et les défis dans un contexte donné. Quelque part, on peut ainsi déterminer si une personne X est à sa place dans une fonction Y ou un rôle social Z, voire modifier ses responsabilités pour que cela soit plus productif pour l’équipe. Dans le cadre d’une expertise psycholégale, cela permet d’évaluer les forces et les défis, par exemple, d’une personne dans ses aptitudes à élever ses enfants.

En fait, la « personnalité » tient d’un mélange des ressources innées, de l’éducation et des choix personnels. C’est une photo, c’est une probabilité, mais ce n’est pas une certitude scientifique… Il faut donc user de discernement pour éviter les pièges que nous tendent nos croyances et nos analyses du comportement d’autrui.

UNE AIDE POUR ÉVITER LES BIAIS DANS L’ÉVALUATION DES TROUBLES PSYCHIATRIQUES

À défaut d’indicateurs objectifs pour déterminer la présence ou non d’un trouble psychiatrique, des outils psychométriques sont désormais utilisés dans le domaine de la neuropsychologie. Il existe plusieurs cas de figure: des tests pour quantifier certaines habiletés et déficiences cognitives, alors que d’autres proposent de mesurer la fréquence d’indices comportementaux associés à des maladies mentales.

C’est ainsi que dans le prochain texte, je regarde avec vous quatre questionnement à envisager, quelques limites des outils et, surtout, quelques conseils pour favoriser la meilleure utilisation possible d’une passation de tests psychométriques pour établir l’éventuelle présence d’un trouble.

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