Choisir d’être présent, un pas à la fois

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Dans un monde de plus en plus connecté et encourageant la performance au détriment des relations humaines ou les plaisirs simples, choisir d'être présent, un pas à la fois, dans nos interventions éducatives devient parfois tout un défi. Et pourtant...

Depuis notre plus tendre enfance, on nous pousse à vivre en dehors du moment présent. On finit par vivre dans le passé, par nostalgie et surtout par peur du futur. On réagit avec nos mécanismes de défense pour essayer de ne plus se sentir en danger. Quelque part, c’est le royaume du Petit Roi de Jean-Pierre Ferland ou de Pensouillard du Docteur Serge Marquis.

Le cerveau mature durant des années

Bien sûr, il faut tenir compte des erreurs du passé, anticiper et planifier pour éviter de faire des choix risqués. Toutefois, et si nous remettions un peu de folie dans nos vies? Ou plutôt, et si nous choisissions de vivre dans le présent sans oublier notre part de responsabilité dans tout ce qui se passe à chaque instant?

Les émotions font partie de l’expérience humaine. Si les enfants disposent de cinq émotions de base, elles s’étoffent et s’articulent toutes autour d’une modification de notre état physique autant que de nos affects. Et quand elles débordent, c’est le détecteur de danger qui prend le contrôle de nos comportements.

Au fur et à mesure que le cerveau se développe, cela permet une meilleure maîtrise des émotions. Il y a toutefois des transitions, caractérisées par des périodes d’incompréhension et de désarroi émotionnel. Chaque grande crise de la vie est une invitation à plus de profondeur et de nuances tant de nos pensées et de nos sentiments que de nos ressources dont celle de vivre dans le moment présent.

Étonnamment, il faut près de 40 à 45 ans pour que cerveau atteigne sa pleine maturité. Or, les parties les plus lentes à développer leur potentiel sont celles les plus utiles pour bien gérer le stress et l’anxiété qui en découle. Comme la vitesse à vélo, trop ou trop peu est dangereux.

Somme toute, nous devons apprendre à créer une zone de confort qu’on élargit au fil de l’expérience, ce qui nous permet de profiter d’une balade à bicyclette. Comme pour la gestion du stress et de l’anxiété face aux différents moments heureux ou aux défis que nous réserve la Vie.

Le casse-tête

Sans une bonne gestion des émotions, le risque de fragmentation de notre esprit est omniprésent. C’est comme si notre cerveau se morcelait comme un casse-tête qui tombe à terre: les mille et une pièce se répandent sur le sol. La fragmentation morcèle les souvenirs, les sensations et les actions pour éviter des dommages permanents dans notre cerveau.

Et on fragmente tous. Des plus petits au plus grands. De la période utérine à la mort. C’est normal. Parfois, cela dure quelques minutes. D’autre fois, cela dure 24 à 96 heures pour que la boucle de stress se relâche et permette de recouvrer la pleine utilisation de notre potentiel.

Si ce mécanisme est essentiel pour la survie, il n’en demeure pas moins un grand frein aux relations saines et sereines. Le Petit Roi peut semer bien de la désolation quand on utilise ses comportements de fuite ou d’attaque au lieu d’accepter sa vulnérabilité, seule porte vers la profondeur de l’expérience affective. L’attitude face au problème fait en sorte qu’on maintient un conflit au lieu de simplement s’affirmer avec sérénité dans une situation difficile.

Par ailleurs, un enfant ne peut pas s’en sortir seul. Il a besoin de l’adulte. Pour s’assurer de la présence de l’adulte, il préfèrera de l’attention négative à pas d’attention du tout, ou alors de la colère intense qu’une présence intellectuelle. D’autres seront des enfants trop-sages. Des gestes gratuits peuvent également traduire cet excès de stress qui ne peut, sans présence bienveillance, se relâcher que par des pleurs ou du sommeil profond…

Dans une fragmentation, la physiologie du corps est transformée. Progressivement, les vaisseaux sanguins se compriment dans la partie la plus humaine du cerveau, celle qui nous donne accès aux meilleures stratégies du vivre ensemble. Puis, c’est notre logique qui se réduit et on dramatise. Ensuite, on n’a plus accès à la profondeur des affects, mais aux pensées et croyances dirigées vers la survie.

En parallèle, le sang est convoyé essentiellement vers la partie reptilienne de notre cerveau, celle qui est vouée à notre survie physique. Le détecteur de danger situé dans la partie mammifère du cerveau maximise l’efficacité de la boucle de stress. Les comportements dérangeants apparaissent, puis ce sont les comportements irritants et, éventuellement, le fonctionnement problématique ou le trouble comportemental.

Survie

En fait, le détecteur de danger a comme fonction de nous protéger. Précieusement encodés, des mémoires universelles (ex. la peur d’être dévoré) s’associent aux souvenirs de moments angoissants (ex. avoir été mordu par un chien). Et si un parent a subi un drame avant de procréer, cette mémoire peut aussi affecter son enfant par épigénétique ou par l’éducation proposée.

Le danger ou la menace n’ont pas à être réel. Ce sont les impressions qui dominent. Et les amygdales font en sorte que ce sont nos mécanismes de défense qui prennent le contrôle. Face à autrui, ce n’est plus une personne qu’on voit, mais un dinosaure ou un loup. Oublié le vivre ensemble, il s’agit de survivre. Sans cela, l’espèce humaine aurait disparu. Avec cela, chaque être humain peut en être affecté à chaque moment.

Une fragmentation ne peut pas se rationaliser. En fait, la rationalisation est un des indices de cette expérience de survie. Bien sûr, il faut rassurer Pensouillard, mais cela ne suffit pas. Le meilleur moyen de diminuer l’activité du détecteur de danger, c’est de ressentir la vie qui circule en nous.

En fait, ce sont nos sensations corporelles qui vont créer un ré-ancrage dans le présent. Parfois extérieures, parfois intérieures. Cela dépend de l’origine du stress ayant provoqué la fragmentation.

Le bonheur serein

Récemment, Lauri Nummenmaa a demandé à 701 sujets de visionner des séquences de film et des photos, puis de décrire ce qu’ils ressentent sur le plan affectif, comme corporel. Il a ainsi dégagé la première carte psychocorporelle des émotions.

Si la dépression laisse bien peu de vitalité dans le corps, on voit que l’amour ou la colère créent de vives sensations dans le haut du corps. La peine tient essentiellement dans un mélange d’absence de vitalité corporelle, mais une forte charge émotionnelle au niveau du cœur.

Curieusement, l’émotion qui induit le plus de sensations psychocorporelles est l’expérience du bonheur serein. Plus puissant que la joie, ce sentiment profond induit une grande vitalité dans tout le corps. Et là où cela nous est essentiel, c’est que ces sensations vont aller tempérer l’activité du détecteur de danger pour favoriser les stratégies bienveillantes d’intervention disciplinaire comme pédagogique.

La joie est un des aspects du bonheur serein. Si elle est seule, elle peut concentrer la vitalité dans le haut du corps et nous couper de notre enracinement dans le bassin. La conscience de nos deux pieds sur terre fait partie de la solution. La confiance dans le processus de la vie en est un autre. Le lâcher-prise fait en sorte qu’on ne s’attache pas au résultat de nos actions les plus essentielles. On est là, présent.

Il est utile de se créer des ancrages. De déterminer un espace dans la classe ou la maison dans lequel on se sent en sécurité. D’afficher une toile ou d’écouter une musique qui contribuera à ressentir pleinement le bonheur. Cela nous demande simplement d’être présent, attentif et bienveillant.

Une question d’attitude

Quelque part, notre qualité de présence est un cadeau offert aux personnes qui nous entourent, des jeunes enfants aux collègues, du conjoint à la personne inconnue qu’on croise au détour d’un chemin. La présence, c’est aussi et surtout le plus beau cadeau qu’on peut s’offrir.

En effet, elle nous permet de sentir les risques ou les débuts d’une fragmentation pour mettre en place les stratégies nécessaires pour éviter que nos mécanismes de défense ne prennent le contrôle de notre vie. Elle nous permet de réactiver nos ancrages de sérénité et de raviver notre vitalité pour signaler au détecteur de danger qu’on se sent peut-être vulnérable, mais que la menace n’est pas si grave que cela.

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On oppose souvent la bienveillance à la fermeté.

Comme s’il nous était quasi-impossible d’user de ces deux modes d’intervention quand une situation problématique se présente. La bienveillance, c’est notre posture de compassion associée à ce sentiment de bonheur profond qui module le détecteur de danger pour éviter qu’il ne déclenche nos mécanismes de défense.

En fait, la manière dont je comprends et utilise la bienveillance, cela implique l’affirmation de soi, mais dans un certain lâcher-prise.

C’est une posture affective efficace qui nous permet de donner le meilleur de nous lors d’une intervention, que ce soit une aide ponctuelle ou régulière, que ce soit le rappel des consignes ou une stratégie disciplinaire. On maintient la compassion, tout en exprimant des limites claires et respectueuses des uns et des autres.

En ce sens, la fermeté va de pair avec la bienveillance… En utilisant notre présence bienveillante, nous disposons d’une attitude aussi humble que respectueuse pour intervenir, pour enseigner, pour échanger, pour guider, pour écouter, pour accompagner…

Somme toute, le problème n’est plus un problème si nous utilisons notre présence et notre compassion tant envers nous-mêmes qu’envers les autres, car toute situation – heureuse ou compliquée – est une invitation à offrir le meilleur de nous-mêmes.

Et les enfants ont terriblement besoin de cette qualité de présence pour se sentir en sécurité face à toutes les belles choses et les imprévus. Cela réduira la fréquence des crises ou, du moins, cela permettra à leur cerveau de se développer de manière saine et sereine.

Bonne journée!
Joël Monzée

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