Maternelle 4 versus CPE: 8 propositions pour soutenir le développement des enfants

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Les enfants ne grandissent pas tous de manière uniforme. Ils ont besoin que nous considérions leurs forces, comme leurs défis, pour regarder quel serait l’environnement éducatif à privilégier, soit en maternelle ou en garderie.

Ce texte est tiré d’une lettre ouverte parue dans le Journal de Québec le 13 mars 2019.

Depuis plus de 15 ans, j’ai l’immense honneur d’animer des formations continues auprès, d’une part, d’éducatrices de centres de la petite enfance ou de services de garde et, d’autre part, d’enseignants et d’équipes scolaires. À chaque occasion, je me rends compte à quel point ces personnes sont dévouées pour les enfants qu’elles accompagnent…

Depuis quelques semaines, le débat public commente deux manières de soutenir l’enfant autour de ses 4 ans : d’un côté, les CPE qui verront l’ouverture de 13 500 nouvelles places d’ici 2 ans; de l’autre, la création de classes maternelles 4 ans, dont 250 classes en septembre prochain.

Ce débat est mal engagé, car on oppose deux groupes d’intervenantes aussi généreuses qu’attentives pour aider les enfants à débuter dans la vie. En effet, le problème n’est pas un problème de structures, mais de contenu en termes de développement de l’enfant et de formation continue des intervenantes!

Considérer les besoins de l’enfant en termes de développement affectif

Ces derniers temps, on parle beaucoup de TDAH et d’anxiété chez nos jeunes. Même si certains ont des vulnérabilités, les défis viennent souvent parce que les adultes n’ont pas créé des liens d’attachement suffisamment sécurisants. Pour certains, c’est parce qu’on leur demande des tâches qui, sur le plan biologique, sont au-dessus de leurs moyens. Ils n’ont pas encore les prérequis neurologiques. Pour d’autres, c’est parce que les adultes oublient qu’une année de développement chez un enfant de 4 ans, c’est dix ans pour une personne de 40 ans.

Savez-vous que la latéralité ne se stabilise que vers 5 ans pour 80% des enfants, alors que 20% des élèves ne « sauront » que vers 7 ans s’ils sont droitiers ou gauchers? Et que les crises sont plus fréquentes autour de leurs 4 ans et qu’elles sont normales? Que les conflits font partie de leurs apprentissages de la vie sociale et qu’ils doivent donc apprendre à gérer leurs émotions plutôt que de faire des activités cognitives?

Quelque part, un enfant de 4 ans rencontre un stade de développement qui lui permet de commencer à sentir qu’il est « une personne à part entière. » Il a plus besoin de jouer à la dinette et au super-héros que d’apprendre à dessiner des lettres. Il a besoin de trouver son identité, mais aussi de développer sa capacité à entrer en relation et à gérer ses émotions. Il a besoin de dessiner debout sur un chevalet plutôt que d’affiner la précision d’un trait sur une feuille déposée sur une table. Il a plus besoin de faire des roulades, de sauter et de danser que de s’asseoir sur une chaise durant 5 heures.

Autrement dit, les enfants ne grandissent pas tous de manière uniforme et qu’ils ont besoin que nous considérions leurs forces, comme leurs défis avant de regarder quel serait l’environnement à privilégier. Qu’il y a parfois un écart biologique de 2 années entre deux enfants du même âge, selon la sphère de développement. C’est normal, mais il faut le cibler et l’accompagner, alors que l’usage des écrans-de-loisir ne fait qu’accentuer certains défis!

Considérer différentes options pour soutenir l’enfant en termes de développement affectif

Il y a des enfants qui seront plus heureux auprès de leur maman si celle-ci choisit de rester à la maison, comme d’ailleurs de plus en plus de parents choisissent de faire l’école à la maison sous la supervision du ministère de l’Éducation.

Il y a des enfants qui seront mieux dans des petits groupes auprès d’une éducatrice accueillant quelques enfants. On y reproduit le multi-âge comme dans une famille usuelle. La proximité et la constance de la même éducatrice est un gage de développement serein. Par contre, il faudra peut-être s’assurer d’offrir un dépistage de certaines vulnérabilités et d’outiller les intervenantes.

Il y a des enfants qui seront mieux dans les centres de la petite enfance, car les groupes de 8-10 enfants du même âge facilitent des activités de développement global. Par contre, il va falloir essayer de réduire le nombre de figures d’autorité pour s’assurer que les enfants un peu plus vulnérables ne doivent se repérer auprès de trop d’adultes.

Il y a des enfants qui seront peut-être heureux d’aller dans une classe maternelle. Parfois, ils sont simplement prêts à franchir cette étape. Parfois, c’est pour faire comme le grand-frère ou la grande-sœur, alors qu’ils se sentent plus à l’aise avec des enfants plus âgés qu’eux.

Le problème n’est pas la structure, mais les activités si elles ne sont pas cohérentes avec la maturation du cerveau de l’enfant

Parfois, c’est parce que l’école répondra mieux à leurs besoins spécifiques, surtout les enfants caractérisés par les différentes formes de douance. Il faut se rappeler qu’il y a trois fois plus de décrocheurs chez ces jeunes-là que chez ceux affectés par des problèmes d’apprentissage.

Parfois, ce sera pour mieux répondre à des besoins précis, car ils sont affectés par une vulnérabilité sur le plan de leur développement global, alors que, dans une école, ils recevraient le support d’orthophonistes ou d’ergothérapeutes qu’on ne pourra jamais engager à temps plein dans un CPE.

Cela dit, le piège d’une scolarisation précoce serait de leur donner accès à des tâches pour lesquelles ils ne sont pas disponibles sur le plan biologique. Mais, c’est déjà un piège pour le parent ou l’éducatrice en CPE. Les enfants de 4 ans ont besoin d’activités d’éveil et de développement global qui leur permettront de se développer de manière optimale qui, à l’entrée au primaire, se transformera en apprentissages scolaires.

En d’autres mots, il faut faire attention à ce que les apprentissages proposés soient cohérents à leur disponibilité neurologique, affective et sociale. Cela stimulera leur désir d’apprendre et l’entrée au primaire en sera grandement facilitée.

Un modèle intéressant: les trois années de maternelle en Belgique

Il existe, en Belgique, trois années de maternelle. Les enfants y rentrent vers 3 ans et les services sont offerts pour prioriser leur développement global en termes d’activités pédagogiques. La majorité du temps, les enfants jouent! Ils y font des bricolages et de la musique. Ils dessinent et ils chantent. Ils découvrent le plaisir d’apprendre et de se dépasser. Certains peuvent même encore y faire une sieste. Il y a des services offerts aux enfants qui présenteraient une vulnérabilité dans une sphère développementale ou des indices d’un trouble pédopsychiatrique.

Un des éléments à considérer pour le Québec, c’est la formation spécifique pour ces groupes d’âge. La formation des enseignantes maternelles belges repose sur un premier cycle universitaire distinct de la formation des enseignants du primaire. Brièvement, elles ne sont pas formées pour faire des apprentissages scolaires, mais pour contribuer à leur développement global et éveiller leur désir d’apprendre.

Un deuxième élément à considérer, c’est que les élèves ont accès à un minimum de deux heures de développement psychomoteur par semaine, et ce, en plus des cours d’éducation physique (motricité) et des récréations (jeux libres). La psychomotricité est un ensemble de pratiques qui visent à soutenir le développement des habiletés et capacités fondamentales, tant corporellement que socialement, essentielles pour faciliter leurs apprentissages scolaires subséquents.

Un troisième élément à considérer, c’est le programme 5-8 (maternelle 5 + premier cycle primaire) qui permet à certains enfants d’avoir accès à des apprentissages cohérents avec leur niveau de développement. D’une part, les plus jeunes qui sont plus avancés sur le plan cognitif peuvent aller chercher, certaines heures de la semaine, une stimulation à une niveau supérieur. D’autre part, certains élèves peuvent revenir vers la maternelle 5 pour y vivre des activités de développement plus global et s’assurer, à termes, de mieux réussir leur scolarité primaire.

Quelques propositions

1. Tout ne se joue pas avant 6 ans. On a tellement cru à cette théorie qu’on stimule certains enfants alors que biologiquement ils ne sont pas prêts. D’autres n’apprennent pas à se déposer. Ce sont deux des causes de l’augmentation du nombre d’enfants en difficulté scolaire. Durant la petite enfance, le jeune enfant a besoin de jouer, de parler, de chanter, de faire des culbutes, d’entendre l’adulte lui lire des histoires, de mimer ses héros, etc. Ces activités doivent faire partie du cursus quotidien des classes maternelles.

2. Conséquemment, il faut privilégier leur développement selon les différentes sphères de son développement global. Des activités moins axées sur le développement intellectuel pour favoriser le développement selon les cinq sphères du développement affectif, social et langagier. Quand les fondations seront solides, l’enfant se dirigera naturellement vers des activités à plus haut degré cognitif. Il ne sert à rien de précipiter les apprentissages.

3. À termes, les universités québécoises devraient envisager la création un nouveau programme de baccalauréat qui s’adresserait aux futures enseignantes maternelles ou éventuellement des orientations « majeures » en préscolaire. Il peut y avoir des matières communes, mais la didactique et les apprentissages spécifiques au primaire devrait être moins proposés aux futures enseignantes maternelles. La mise en place du réseau des maternelles 4 ans en sera fortement bonifié.

4. Pour les enseignantes déjà en fonction, il serait important de proposer l’accès à des certificats universitaires spécifiques (voire une maîtrise) ou des formations continues dans les commissions scolaires pour qu’elles aillent chercher des ressources adaptées aux réalités affectives des enfants de 4-5 ans, voire même pour les élèves du primaire. Cela demande un financement spécifique.

5. Actuellement, les éducatrices font 6 heures de formation continue par année. Si elles ont une bonne connaissance du monde de la petite enfance, l’accès à des certificats universitaires ou plus d’heures de formation continue serait une manière d’assurer une pratique professionnelle optimale et des interventions éducatives cohérentes avec les défis actuels de nombreux enfants affectés par l’une ou l’autre vulnérabilité. Là encore, il faut considérer un financement pour favoriser un retour aux études, ne serait-ce qu’à temps partiel…

6. Considérer que, même dans une classe maternelle, les enfants ne se développent pas tous de la même manière et à la même vitesse. Aussi, les classes devraient minimalement regrouper des enfants âgés de 6 mois d’écart, comme cela se fait dans certains CPE. Et, si c’est possible, d’éviter d’uniformiser les classes les unes par rapport aux autres : autrement dit, regroupons les enfants qui présentent des vulnérabilités similaires, quitte à favoriser des mélanges de groupe pour certaines activités.

7. Comme cela se fait déjà au Saguenay-Lac-St-Jean, tant les écoles maternelles que les CPE devraient offrir la psychomotricité à tous les enfants, alors que certains élèves du premier cycle puissent y avoir encore accès pour y développer les habiletés de base pour mieux réussir leur scolarité.

8. Offrir, au sein des écoles, le support en termes de psychoéducation, d’orthophonie et d’ergothérapie aux enfants qui présentent une ou plusieurs vulnérabilités dans les sphères de leur développement global, ce qui nécessite un accès à une évaluation non-médicalisée pour éviter de dramatiser la situation ou créer une attente trop longue avant que les services sociaux ne soient en mesure de l’offrir.

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