Quand l’enfant refuse de manger ses légumes

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Si c'est tous les parents peuvent ressentir de la frustration quand leur enfant refuse de manger des légumes, il y a pourtant une émotion très importante qu'il essaie d'apprivoiser: le dégoût. Comment aider l'enfant à réguler sainement cette réaction qui n'est pas toujours valorisée?

Quel parent n’a pas été dérangé par le fait que son enfant refusait de manger ses légumes?

Certes, c’est bien embêtant. Pourtant, ce comportement dérangeant cache l’apprivoisement d’une émotion très utile pour son équilibre psychologique: le dégoût.

Tel qu’illustré par le film de PIXAR « Sens dessus dessous », le dégoût considérée comme l’une des cinq émotions fondamentales par le psychologue Paul Ekman, un des plus grands spécialistes du domaine des neurosciences affectives.

Si c’est une émotion de base, c’est qu’elle est vitale pour l’intégrité de l’individu, dont notamment sa survie.

LE DÉGOÛT EST UNE ÉMOTION RAREMENT COMPRISE

Notre projet familial consistait notamment à construire et à entretenir une fermette. Outre des potagers et arbres fruitiers qui nous offrent de plus en plus une autonomie alimentaire, nous avons aussi des chevaux (pour le plaisir et créer du fumier écologique) et une dizaine de poules (pour déguster chaque matin des œufs frais).

Je suis fasciné de voir à quel point les chevaux et même les poules sont capables de discerner ce qui est bon, ou n’est pas bon, de manger. On pourrait croire que – parfois – ce sont des caprices, mais il n’en est rien.

D’ailleurs, l’ancienne propriétaire de deux de nos chevaux nous avait raconté qu’ils avaient pu détecter un problème de qualité de l’eau de la ville bien avant les autorités sanitaires. C’est leur appel qui avait déclenché une vérification de l’administration qui avait ainsi confirmer l’insalubrité passagère de l’eau transmise aux maisons.  

Or, nous apprenons souvent à nos enfants à se couper de leurs sensations. Il y a nos interventions quand on force une amitié ou un câlin.

Il y a aussi nos ordres quand on impose à l’enfant qui n’a plus faim, de poursuivre son repas envers et contre tout.

Il y a aussi l’imposition de certains aliments qui, même s’ils sont bons pour la santé, ont un goût ou une texture qui dérange l’enfant.

VIOLENCE ÉDUCATIVE ORDINAIRE

Je me souviens que mes parents, quand il restait quelque peu d’aliments dans les plats, me versaient leur contenu dans mon assiette.

« Allez, hop! Poubelle » s’exclamait avec fierté mon père. Et ma mère n’en a pas loupé une non plus. Cela leur permettait de ne pas avoir à utiliser des contenants pour conserver les restes du repas. Quant à moi, la seule option : me couper de mes sensations de satiété.

Combien de fois n’ai-je pas vu mes frères se faire écraser le visage dans leur assiette, quand ils n’aimaient pas ou qu’ils n’avaient plus faim?

Cette forme de violence éducative ordinaire dans laquelle nous avons grandi n’avait aucune limite, l’abus physique s’associait à la violence psychologique, forçant une coupure de soi et de ses sensations corporelles pour éviter de déclencher d’autres gestes ou paroles dégradantes.

Encore aujourd’hui, il reste des traces. Quand ma conjointe, avec plein d’amour et de générosité, sert les assiettes de toute la tablée, elle demande rarement si nous avons une petite ou grande faim. Il n’y a aucune mauvaise intention de sa part, mais cela réveille parfois automatiquement le trauma. Et, il faut que je me parle pour éviter de ressentir l’angoisse imprégnant mes cellules… Souvent, je vais alors manger sans apprécier.

À contrario, je demande toujours aux convives quelle quantité de nourriture souhaitent-ils. Je préfère les resservir trois fois – si les plats ne sont pas sur la table – que d’imposer une quantité.

Sinon, j’adore faire plein de petits plats avec les mets séparés pour que les personnes se servent à leur gré.

Une autre manière de procéder, c’est de proposer que chacun fasse son plat, tout en respectant certaines consignes cohérentes avec le guide alimentaire canadien. Laissez le choix à chaque personne permet de créer une adéquation entre les nécessités pour la santé et les goûts variés du moment ou de l’individu. C’est la base du respect.

DE L’UTILITÉ DU DÉGOÛT

Si on apprend à bien utiliser cette émotion, elle va permettre de mieux choisir les personnes qu’on fréquente, ainsi que le métier à choisir ou le travail effectué.

Souvent, les enfants et les ados ont tellement appris à ne pas s’écouter qu’ils arrivent à l’étape de choisir leurs études post-secondaires sans avoir d’idées de ce qu’ils aimeraient faire.

Cela peut aussi les maintenir dans un emploi insatisfaisant ou dans une relation amoureuse décevante. Cela ne veut pas dire que cela ne répondrait pas aux besoins d’autres individus, mais dans le cas où une personne est coupée d’elle-même, elle n’arrive plus à choisir, à sortir de la situation sans issue ou à s’émanciper et retrouver sa liberté.

Il est fort possible aussi que, associé au phénomène de la parentalisation, la perte des références internes sur ce qui est bon pour soi (ou qui n’est pas bon) fait en sorte qu’une personne peut rester dans un couple toxique, voire violent.

POUR QU’UN « OUI » SOIT UN VRAI « OUI », IL FAUT SAVOIR CE QU’EST UN « NON »

Il est donc précieux de permettre à nos jeunes de sentir ce qui est bon ou ce qui est à éviter.

L’enfant va être alors capable de faire des choix en son âme et conscience. C’est le principe même du respect d’autrui et d’implication dans sa vie de manière responsable.

Par contre, si nous forçons l’enfant ou l’ado à prendre une direction contraire à celle qu’il aurait prise sans que cela ne se justifie – par exemple – pour sa sécurité, nous prenons le risque de briser une ressource essentielle pour qu’il fasse des choix responsables. L’équilibre et le discernement sont importants pour favoriser des décisions justes.

Il y a une différence entre« dire non » et abuser de notre posture d’adulte. Il se peut que le« non » soit inapproprié mais, alors, il suffit simplement de s’excuser et de dire qu’on a réfléchi et qu’on change d’avis sur la question ou la demande posée…

J’imagine déjà deux objections! Et si l’enfant refuse des aliments excellents pour la santé? Souvent, ce sont des légumes, donc il suffit de les faire en soupe. On peut aussi refuser l’accès au dessert si le jeune prétend ne plus avoir faim. Ou, du moins, retarder son accès.

Et cela veut dire qu’on ne peut jamais dire « non »? Bien sûr que oui, vous pouvez dire « non ».

C’est une légende urbaine qui fait croire à certains adultes que le « non » est préjudiciable.

Au contraire, il leur permet d’apprendre les limites. Le jeune en a besoin. Le tout est de savoir pourquoi dire « oui » et pourquoi dire « non ». Parfois, c’est une simple question de « pour quoi » ou de « quand ».  

ALLER PLUS LOIN

P. Ekman, Handbook of Cognition and Emotion, Sussex, John Wiley & Sons, Ltd., 1999.

J. Monzée, Et si on les laissait vivre ? – Accompagner avec bienveillance les enfants et les adolescents, Québec, Éditions Le Dauphin Blanc, 2016.

J. Monzée, J’ai juste besoin de votre attention – Aider les enfants et les adolescents aux prises avec le stress et l’anxiété, Québec, Éditions Le Dauphin Blanc, 2016.

J. Monzée, J’ai juste besoin d’être compris – Comprendre les comportements dérangeants des enfants et des adolescents, Québec, Éditions Le Dauphin Blanc, 2015.

J. Monzée (dir.), Neurosciences, psychothérapie et développement affectif de l’enfant, Montréal, Éditions Liber, 2014 (ré-imprimé en 2015).

PIXAR, « Sens dessus dessous » ou « Vice-versa », Disney, 2015.

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