En 2008, ma conjointe et moi préparions la construction de notre nouvelle maison… Une situation cocasse m’a amené à m’interroger sur la dynamique des adultes par rapport aux ressentis des enfants.

En fait, ces ressentis facilitent leur empathie et leur compassion s’ils sont bien vécus, mais aussi ils déclenchent aussi d’éventuelles collusions émotionnelles ou comportements dérangeants s’ils n’apprennent pas à les utiliser.

D’ailleurs, en aidant l’enfant à rester dans ses souliers lorsqu’il interagit avec les autres, nous pouvons réduire le risque, par exemple, qu’il ne s’oublie pour plaire à son entourage.

De même, il aura moins recours aux comportements stratégiques qui peuvent nous donner l’impression d’être manipulés.

APPRENTISSAGE D’UN PEU DE SAGESSE

En fait, nous étions en train de planifier les travaux avec deux entrepreneurs. Il faisait chaud et humide. On se déplaçait dans un enchevêtrement d’arbrisseaux et de troncs tombés au sol. Le précédent propriétaire avait fait une coupe-à-blanc et la nature reprenait ses droits.

Fatiguée de se faire piquer par les moustiques, notre fille, âgée à l’époque de trois ans et demi, voulait rentrer à la maison. Elle avait été patiente, mais là, cela commençait à bien faire…

Bien que sensible à sa cause, je lui expliquai pourtant que je devais « terminer de discuter avec mes amis avant de pouvoir rentrer ».

Elle me regarde, intriguée, puis me répond « mais ce ne sont pas tes amis ! »

Bien sûr, j’étais embêté devant les deux professionnels, mais nous sommes partis à rire devant sa répartie.

Pour moi, j’avais choisi des mots qu’elle pourrait comprendre aisément, malgré sa lassitude des piqures.

Toutefois, elle avait vu juste: elle avait senti que le lien qui m’unissait à ces hommes était un lien professionnel et non pas un lien amical.

L’INTERVENTION DES ADULTES N’EST PAS TOUJOURS ADÉQUATE

Cette situation m’a fait penser aux enfants qui, à la garderie ou à l’école, se font parfois imposer des « amis », au mépris parfois de leur petite voix intérieure qui leur dit, justement, qu’ils ne sont pas vraiment des amis.

Combien d’éducateurs ou d’enseignants ne disent pas « va voir ton ami », « va jouer avec tel ami », voire imposent des travaux de groupes, modifient les alliances ou changent les places dans la salle, sans tenir compte de la qualité des liens existant entre les enfants?

Bien sûr, les enfants sont à la recherche d’amis, car ils ont besoin de relation saine avec leurs pairs pour jouer, développer des conduites sociales et se définir comme personne à part entière.

S’il y a un conflit, il est normal que les adultes tentent de faire une médiation et de rappeler les valeurs et les conduites attendues. Mais pour le reste, peut-on leur faire confiance?

Si on impose une « amitié » aux enfants, alors que leur petite voix et leurs sentis leur indiquent autre chose, que va-t-il se passer pour eux?

ILS APPRENDRONT PLUS TARD, MAIS PLUS EFFICACEMENT

Souvent, l’idée de l’adulte, c’est de lui permettre d’apprendre à coopérer ou à partager. Cette idée est certes louable, mais elle peut se faire d’une manière bien plus problématique qu’on ne l’imagine.

Elle peut contribuer à ce que l’enfant apprenne à se couper de lui, alors que c’est une direction qui accentue à court terme la parentalisation et, à long terme, l’incapacité de quitter une relation toxique, qu’elle soit amoureuse, familiale ou professionnelle.

Gageons, plutôt, qu’en travaillant sur le respect de soi et d’autrui, on atteindra les mêmes buts, mais sans prendre trop de risques pour la construction du Soi de l’enfant. Apprendre à apprivoiser et à respecter ses émotions en relation avec autrui est parfois bien plus fécond que de se faire imposer une relation… ou un câlin.

ALLER PLUS LOIN

J. Monzée, Et si on les laissait vivre ? – Accompagner avec bienveillance les enfants et les adolescents, Québec, Éditions Le Dauphin Blanc, 2016.

J. Monzée, J’ai juste besoin de votre attention – Aider les enfants et les adolescents aux prises avec le stress et l’anxiété, Québec, Éditions Le Dauphin Blanc, 2016.

J. Monzée, J’ai juste besoin d’être compris – Comprendre les comportements dérangeants des enfants et des adolescents, Québec, Éditions Le Dauphin Blanc, 2015.

J. Monzée (dir.), Neurosciences, psychothérapie et développement affectif de l’enfant, Montréal, Éditions Liber, 2014 (ré-imprimé en 2015).

J. Monzée (dir.), Devenir SOI, Québec, Éditions Le dauphin blanc, 2011.