Syndrome d’Asperger (2/2): quand l’ignorance condamne la neurodiversité

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L'essence du mouvement neurodiversité, c'est un appel à l'ouverture d'esprit pour transcender les peurs face à la différence. Par ailleurs, le syndrome d'Asperger a été considéré parmi les troubles du spectre de l'autisme. Il a pourtant été redéfini autrement, suite à la parution du DSM-5. Et c'est une excellente nouvelle, car les symptômes étaient mal compris par la population...

La 5e version du manuel des troubles psychiatriques ne considère plus le syndrome d’Asperger comme une forme de l’autisme, le commun des mortels pourtant ne fait pas encore la différence.  De toute façon, beaucoup ont de la difficulté à reconnaître la richesse de la neurodiversité dans les comportements d’autrui. La peur de la différence déclenche de regrettables réactions de protection. La personne porteuse des « caractéristiques asperger » est fréquemment associée à des drames sociétaux ou la psychose.

Elementary – Voir le syndrome d’Asperger autrement

Le 30 septembre 2018, ce sera la journée mondiale de la neurodiversité, un mouvement stimulé tant par des experts que des personnes diagnostiquées dans le spectre de l’autisme. À Montréal, nous serons quatre conférenciers – Judy Singer, Laurent Mottron, Josef Shovanec et moi-même – à partager notre expérience personnelle ou clinique en regard du phénomène autistique.

LE SYNDROME D’ASPERGER DANS LES ARTS VISUELS

Il y a eu plusieurs, mais il est sans conteste que Rain Man, le film joué par Dustin Hoffman et Tom Cruise, fut une première manière d’aborder positivement les talents d’une personne autiste, mais aussi le jugement social qui affecte tant la famille que la personne diagnostiquée…

Actuellement, la télévision nous offre deux figures très riches, dont certains comportements récurrents reflètent la présence probable d’un syndrome d’Asperger.

Sur le plan international, il y a le personnage de Sherlock Holmes qui, dans sa variante new-yorkaise « Elementary » nous permet de voir la complexité et la richesse affective de cet homme, tantôt comme fin limier pour enquêter sur des homicides presque-parfaits, tantôt comme être humain, en relation avec la Dre Watson et dans ses histoires d’amour… On y voit toute la profondeur de l’être. Originalité de la série, trois personnages féminins jouent des rôles essentiels pour mieux comprendre tantôt son repli affectif (Irène, alias Moriarty), mais aussi son ouverture progressive à sa vulnérabilité (Jane Watson et Fiona).

Pour sa part, la télésérie québécoise « L’heure bleue » nous plonge – notamment – dans l’univers de la vie de quatre colocataires, dont Jules Tousignant qui démontre beaucoup de stress dans des situations changeantes ou des contraintes sociales. Sa vie rythmée selon une musique très régulière lui permet d’accéder à son autonomie… Puis, un jour, une jeune femme pétillante le choisit comme amoureux. Elle le voit avec les yeux du coeur et elle ne s’inquiète pas de sa diversité cognitive. Lui, il s’ouvre à sa vulnérabilité…

Dans un cas comme dans l’autre, les acteurs jouent à la perfection. Dans les deux personnages, on est loin des stigmates qu’on nous « vend » à propos du syndrome d’Asperger. Bien sûr, il y a des personnes affectées par un profond autisme qui empêche la relation. Par contre, beaucoup confondent les symptômes de la psychose avec ceux de l’autisme.

Si la personne affectée par les « caractéristiques Asperger » a de la difficulté à gérer certaines transitions, ils ont juste besoin de vivre des relations saines et respectueuses des limites affectives de chacun. Toute forme d’attente est perçue comme de l’envahissement. Et ils se referment pour se protéger. Maladie ou mécanisme de défense bien rôdé?

Chez une personne autistique, ses crises peuvent être spectaculaires. Mais, imaginez: on vous plonge dans un village chinois, les personnes vous parlent en mandarin toute la journée et personne ne prend le temps de vérifier (vraiment vérifier) quels sont vos besoins. L’interaction peut-elle être féconde? Vous sentiriez-vous à votre place? Auriez-vous l’impression d’être respecté? Garderiez-vous votre calme ou, à un moment donné, le stress ferait sauter la marmite?

Les colocataires dans la série « L’heure bleue », avec Jules au centre…

C’est passé inaperçu dans la presse occidentale car, celui qui a affirmé un fait dramatique dont on ne parle que dans certains milieux cliniques (portes et fenêtres fermées), c’est le président de la National Rifle Association! En fait, il expliqua que beaucoup de jeunes tueurs de masse aux États-Unis étaient médicamentés avec des psychostimulants. On sait, par exemple, que le Concerta augmente l’agressivité. On sait que la Dexedrine augmente la perte de jugement et peut amplifier l’agressivité. Mais, on en parle pas.

Par contre, les médias affirment que le syndrome d’Asperger est responsable de la tuerie… Cette image effroyablement négative affecte la perception des citoyens qui, malheureusement, réagissent dans la crainte d’un drame… Deux cas véridiques. Un de mes patients (qui a accepté que je partage son expérience, son prénom est modifié) et un collègue médecin (dont le cas à été médiatisé).

JEAN-DANIEL

Alors que Jean-Daniel réalise ses études secondaires, ses parents lui propose de faire une psychothérapie. Il accepte de me rencontrer. Lorsqu’il en parle, son regard est clair, vivant, lumineux. Il est heureux. Sa carrure ressemble plus à celle d’un joueur de foot qu’à celle d’un poète. Un mélange de Jean Gabin et d’Antoine Bertrand. Il est pourtant hypersensible et réservé dès qu’il entre quelque part.

Dès l’enfance, l’école suspecta qu’il avait le syndrome d’Asperger. Comme il habitait à la campagne, il est resté dans l’école du village. Ses parents et l’équipe du centre hospitalier régional l’ont bien aidé. À tel point qu’il ne satisfait plus aux critères pédopsychiatriques depuis le début de son adolescence. Toutefois, les adaptations sur le plan du soutien social l’aident à réussir à l’école. Alors, le diagnostic est maintenu d’un commun accord entre les parents, la neuropsychologue, le médecin et l’équipe éducative.

Alors qu’il était en quatrième année secondaire, il s’intéressa à une jeune fille de sa classe. Un jour, il lui demanda timidement si elle accepterait de l’accompagner au cinéma. Cela lui avait pris tout son petit change pour oser faire sa demande. Lui qui avait plutôt tendance à s’isoler, il a peut-être été un peu maladroit, mais il est fier de lui. L’adolescente ne répond pas. Elle s’en va. Il la laisse partir, sans rien dire. Une heure après, il est convoqué par une éducatrice. Elle lui rappelle alors les règles contraignant le harcèlement et, vu son diagnostic, elle lui explique qu’il serait préférable d’éviter d’inviter les filles à faire une activité sociale avec lui.

De telles expériences, il en a vécu souvent. Curieusement, c’est la relation prof-élève qui fut fréquemment fragile. Il est vrai que, lorsque son stress s’empare de son bon sens, il peut être très démonstratif pour signaler qu’il perd pied. Il devient rouge, se prend la tête dans les mains et parfois fait mine de s’arracher les cheveux. À d’autres moments, il s’isole. Il a de la difficulté à entrer en relation avec ses pairs. Il ne sait pas comment «être» avec les autres. La présence de l’éducatrice l’a sans doute aidé pour réaliser ses tâches au secondaire, mais l’a-t-on aidé à développer ses ressources relationnelles. Si on part du principe que l’autisme est immuable et qu’on croit qu’il faut être farfelu pour imaginer que les symptômes peuvent s’atténuer, voire disparaître, pourquoi prendre du temps à l’outiller à explorer une vie sociale dans laquelle il est, par définition, handicapé?

SANDY-HOOK, LE DRAME ET LES FAUSSES VÉRITÉS

Plus tard, Jean-Daniel s’inscrit aux études collégiales. Il aime la présence de jeunes enfants, sa douceur fait en sorte qu’ils le lui rendent bien… « Ils sont sans arrières pensées, j’ai le droit d’être qui je suis avec eux » m’explique-t-il. Si sensible pour une personnes qui, paraît-il, est si peu empreinte aux émotions? Se pourrait-il que, au contraire, il soit hyper sensible aux signes non-verbaux qu’à un moment, il doit les inhiber pour ne plus être affecté par les manifestations des autres? Et que cela devienne une seconde nature, plus défensive que d’autres?

Heureux de son émancipation progressive, il suivait ainsi le programme pour devenir éducateur à la petite enfance. Il est le seul gars de la cohorte. Il ne se sent pas le bienvenu. Il constate leurs maladresses relationnelles envers lui. Il ne comprend pas l’ignorance des autres. Cela n’a pas de sens, pour lui qui ne voit généralement que le côté positif des gens.

Et puis, les mésaventures du secondaire maintiennent un état de vigilance constant. Il lui arrive encore de devenir rouge quand le stress monte et de tirer discrètement sur ses cheveux quand l’anxiété de réussite lui fait douter de lui. Il « sait » intuitivement que la douleur le ramène dans le « moment présent. »

Il apprend cependant à maîtriser les manifestations de stress. Il travaille sur sa cohérence cardiaque, il se masse les jambes pour tempérer le stress souvent né de la peur du regard déformant d’autrui.

Puis, le drame de Sandy Hook fit paniquer le monde bien pensant, car les média expliquent la tuerie par le fait que le jeune homme était diagnostiqué comme « Asperger ». On envoit les journalistes sur place, cela tourne en boucle pendant plusieurs jours. Même Céline Galipeau se déplacera pour faire le journal télévisé en direct du coeur du village meurtri. On fait le lien avec une autre tuerie, celle du Collège Dowson. On ne parle pas de la violence des jeux vidéos auquel s’adonnait le tueur, mais de son syndrome d’Asperger.

Elementary, le syndrome d’Asperger vu autrement

Quelques jours après, la directrice de son institution scolaire convoque Jean-Daniel à une réunion en urgence. Elles sont trois. Avec une attitude condescendante, elles le convainquent de signer une lettre dans laquelle il explique qu’il abandonne sa scolarité, moyennant un remboursement intégral des frais de scolarité. Paniqué, mais calme, il signera le document.

Après avoir digérer le choc, il se réessaya dans un autre collège. Toutefois, l’analyse des événements du premier collège lui font craindre de nouveaux échecs s’il se dirige vers un profil d’éducateur. Alors, il choisit une option artistique. Une autre de ses passions. Ses activités académiques, répondant très bien à ses intérêts, lui permettent d’exprimer tout le spectre de ses émotions. Il est loin de correspondre aux critères diagnostiques associés au TSA… Et quand il monte sur les planches, c’est tout un spectacle qu’il offre… Il rêve de faire du théâtre et du cinéma.

Toutefois, l’expérience académique reste difficile. D’une part, le contact avec les autres étudiants est compliqué à cause de son étiquette, le syndrome fait peur… La différence fait peur. L’ignorance fait le reste pour justifier la méchanceté de quelques pairs. D’autre part, il a vécu un stress post-traumatique suite à l’expulsion du premier Cégep. Il n’arrive plus à faire confiance dans les représentants de l’institution… Un jour, la pression est trop grande et il explose. Aucun acte de violence, mais l’étiquette fait peur. Nouvel échec.

Depuis ces tristes événements, il s’est trouvé un travail. Il s’y sent respecté. Il apprend à développer son autonomie. Il apprend à se faire confiance. Il développe, en parallèle, son talent artistique. Il apprend les différents métiers touchant les arts de diffusion grâce à des webinaires gratuits disponibles sur la plateforme YouTube. Petit à petit, il prend son envol dans un environnement sain. Sans jugement. Sans rejet. Il apprend à vivre avec ses émotions intenses et il les canalise dans ses créations…

JE ME SUIS AUTO-DIAGNOSTIQUÉ ET JE NE PEUX PLUS REVENIR TRAVAILLER

Alors que j’écrivais des chroniques dans l’Actualité Médicale, j’avais abordé la réalité vécue par de nombreuses personnes étiquetées « Asperger », ce diagnostic qui blesse en silence. Quelques jours après la publication de mon texte, un de mes collègues à la Faculté de médecine de l’université de Sherbrooke souhaita échanger avec moi. Mon article l’avait interpellé.

Dr Richard Leblanc (Photo LaPresse)

Au moment de me parler, cela fait des mois qu’il lui est interdit de revenir à son département pour travailler et accompagner ses patients. Nous allons discuter une bonne heure et demi au téléphone. Un échange cordial. Je sentais ses frustrations et ses craintes dans certains propos, mais je conserve encore aujourd’hui l’image d’un homme consciencieux, mais blessé. Désabusé, même.

Il m’expliqua qu’il vivait des choses difficiles dans son département. Sa grande rigueur semble mal acceptée. Une boutade déclencha alors une situation incontrôlée. Alors qu’il était en train de manger un sandwich avec quelques collègues, il se s’auto-diagnostique un syndrome d’Asperger pour expliquer sa minutie, son exigence et son manque de sympathie envers des comportements qu’il juge non-éthique. En réaction, ses collègues l’auraient fait suspendre « tant et aussi longtemps que je ne serais pas sous médication, m’explique-t-il. Ils ont peur que je vienne les tuer comme on en parle si souvent dans les média. »

Trois ans plus tard, la situation est encore dans un cul-de-sac. Il n’a toujours pas pu revenir au travail. J’imagine qu’il a dû vouloir vérifier si son auto-diagnostic était plausible. À moins que cela ne soit une manière d’essayer de sortir de l’ornière conceptuelle dans laquelle il était plongé depuis 4 ans. Toujours est-il que Richard Leblanc explique à un journaliste de La Presse qu’il a rencontré quatre spécialistes qui ont confirmé son diagnostic.

Puis, il explique le contexte de son travail, avant sa mise à l’écart. On lui reconnaît une grande conscience professionnelle, mais une incapacité à fermer les yeux sur des comportements qu’il estime problématiques… Il montre le rapport de l’expert recruté par l’employeur qui voulait justifier sa mise à pied. Le psychiatre minimise le diagnostic « Asperger » pour ne retenir que le « potentiel violent »… Bien sûr, je n’étais pas présent lors du processus d’expertise, mais je peux m’imaginer la situation. Comme si ce n’était pas normal de ressentir une vive colère quand on subit une telle injustice.

Coincé dans un débat d’experts, il porte sa cause devant les tribunaux. En août 2015, le tribunal lui donna raison. Il peut être réintégré. Non sans mal. Comment expliquer une telle dérive? Même les médecins ont de la difficulté à discerner la réalité de la personne autistique des fantasmes de leurs peurs inconscientes? Comment retrouver la confiance dans un espace professionnel miné par de nombreux conflits, dont celui qui affecta si dramatiquement la carrière de Richard?

UN COLLOQUE SUR LA NEURODIVERSITÉ

Malgré leurs connaissances, les collègues de Richard se sont perdus en conjonctures. Quand on voit que des professionnels de la santé peuvent se perdre dans les définitions, comment espérer que la population puisse faire plus facilement la part des choses? Peut-on seulement blâmer le personnel éducatif qui comprenait si mal Jean-Daniel?

Il est donc grand temps que notre société soit interpelée pour transcender les conclusions diagnostiques et regarder comment les comportements divergents peuvent être de grandes ressources pour le déploiement de la diversité humaine. Nous sommes des mammifères, nos émotions nous permettent de nous distinguer des comportements stéréotypés des reptiles et des insectes. Cela fait des années que je tente de sensibiliser les uns et les autres que nos comportements sont le reflet de notre expérience affective.

Somme toute, il est essentiel qu’on aille plus loin qu’un diagnostic. Il y a des lois biologiques. Il y a le sens. Il y a le contexte. Il y a des raisons pour lesquelles une personne agit de telle ou telle manière. Or, les tests utilisés pour « soutenir le diagnostic » ne tiennent pas compte de cette réalité et le risque d’enfermer une personne dans un carcan psychiatrique est banalisé par trop d’experts.

Je vous invite donc à nous rejoindre au Collège André Grasset à Montréal, le dimanche 30 septembre, pour participer au colloque sur la neurodiversité… Un pas pour apprendre à cohabiter avec la différence. Pour apprendre à reconnaître la richesse de la neurodiversité.

À bientôt,

Joël Monzée
Docteur en neurosciences

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