Science et État: quand la distance sanitaire n’est plus respectée pour protéger le bien commun

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Dans de précédents textes, j’avais exposé les risques que nous encourrons tous lorsque les lignes directrices de l’éthique n’étaient plus respectées. J’avais pris notamment l’exemple du principe de précaution qui, plutôt que de stopper les recherches représentant un risque potentiel pour la santé des individus et les équilibres environnementaux, demandait une distance sanitaire entre les gouvernements et les promoteurs de nouvelles technologies, notamment dans le domaine de la génétique et des nanotechnologie.

L’absence de cette distance sanitaire n’est pas seulement problématique au niveau du respect du principe de précaution, mais elle conduit aussi l’humanité dans une zone de hautes turbulences qui risquent d’affecter le bien commun. Il est donc nécessaire d’assurer une distance entre le décideur et le promoteur de toute innovation biotechnologique sous peine de réduire les droits, pourtant inaliénables, des êtres humains sur leur propre corps, leur choix en matière de traitement médicale et leur identité personnelle. Je m’explique.

MON CHEMINEMENT EN ÉTHIQUE CLINIQUE

Entre 1999 et 2001, j’ai eu le grand honneur de contribuer au processus de rédaction de la deuxième politique scientifique du Québec. Le ministre Jean Rochon avait reçu le mandat de réactualiser la première qui datait du début des années 1980. J’avais réunis une équipe de 12 jeunes chercheurs. Chacun avait pris en charge un domaine de réflexion qui lui était cher. Pour clarifier les enjeux, il y avait une recherche dans la littérature scientifique et populaire, ainsi que des discussions avec les patrons de recherche. Ensuite, tous les mercredis pendant des mois, nous nous réunissions pour discuter des différents thèmes.

Quand une thématique était bien documentée, je rencontrais le ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie (MRST) pour présenter le fruit de nos réflexions. Souvent, il nous reposait des questions et nous repartions de plus belle pour explorer les enjeux et les perspectives de la recherche en Santé. Nous avons publié notre note de recherche en mars 2001, alors que Jean Rochon nous a fait l’honneur de signer la préface du document.

À la lecture de ces lignes, vous comprendrez que l’éthique et la responsabilisation sociale des chercheurs et des décideurs sont au coeur de mes préoccupations. Cela a donc donné lieu à mon choix de faire un post-doctorat en éthique clinique (ENAP & INRS), d’être invité sur différents panels nationaux et internationaux (notamment pour contribuer aux nécessaires discussions sur les risques de la recherche en neurosciences, en génétique et en nanotechnologie), de rédiger différents chapitres et articles scientifiques, ainsi que d’offrir une première synthèse de mes recherches dans un essai qui reste terriblement d’actualité (Médicaments et performance humaine, Eds. Liber).

LES CONFLITS D’INTÉRÊTS POTENTIELS

Durant mon postdoctorat, j’ai eu le privilège de gagner la bourse la plus importante offerte – à l’époque – par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). C’était un concours pancanadien et c’est l’ensemble des comités qui prenait la décision. Plus de 400 personnes avaient déposé leur candidature et j’ai été classé au premier rang. Cette bourse a, tant pour moi que pour mon CV scientifique, plus de valeur que l’obtention de mon doctorat. Quelque part, j’y relançais aussi ma carrière, car vous pouvez imaginer que certaines personnes et lobbies n’ont pas apprécié l’implication du groupe que je présidais. De nombreuses zones sombres bien expliquées au ministre a notamment permis de clarifier des règles qui en a dérangé plus d’un. En ai-je seulement le moindre regret? Que non! Mon intégrité n’a pas de prix. Et ce n’est pas pour rien que ma carrière universitaire a pris la direction que je lui ai donnée pour toujours conserver ma liberté de pensée.

Bref, mes recherches subventionnées visaient à créer une carte des différentes parties prenantes qui influent sur le processus de création, développement, commercialisation et consommation de médicaments. Vous aurez de nombreux détails dans mon essai qui expose les différents enjeux, les croyances et les processus décisionnels.

Par ailleurs, je vous propose de lire ci-dessous un texte qui est tiré de la note de recherche produite en 2001, dans le cadre du processus de rédaction de la deuxième politique scientifique du Québec, dans lequel j’aborde les risques de promiscuité entre, d’une part, les gouvernements et leurs agences vouées à la protection du bien commun et, d’autre part, les promoteurs, les entreprises de capital-de-risque et les industries qui veulent commercialiser les innovations biotechnologiques.

Outre la gestion de la crise sanitaire qui s’est transformée ces derniers mois en crise politique, les agences – comme par exemples Santé Canada ou la FDA – sont fréquemment coincées dans la réalisation de leurs mandats. Par exemple, Santé Canada a un double chapeau: promouvoir la recherche en Santé et protéger le public. Quand on sait que Industrie Canada a fortement négocié avec les responsables de Santé Canada pour moduler le dernier guide alimentaire canadien, imaginez ce qu’il en est de l’accord ou du retrait de certains produits. On vient d’ailleurs d’en avoir un autre exemple avec la tentative de minimiser les risques collectifs liés à l’utilisation du Glyphosate.

Pour sa part, la FDA enquête sur les conflits d’intérêts et les tentatives de fraudes des chercheurs trop proches de l’industrie pharmaceutique, mais de nombreux procès avortent grâce à des accords hors Cour et la population est rarement avertie des risques qu’elle encourt. Si le produit est retiré, ce n’est pas si problématique (bien que des dégâts sont faits), mais parfois les recherches frauduleuses ont modifié des critères d’évaluation diagnostique, ce qui perturbe la qualité du travail des psychiatres et autres professionnels de la santé mentale.

LA DISTANCE SANITAIRE ENTRE L’ÉTAT ET LES PROMOTEURS DE LA SCIENCE

« L’État est un acteur important dans la régulation, le financement et le développement de la recherche en santé. Depuis une [quarantaine] d’années, le gouvernement québécois a fait de la recherche en santé l’une de ses priorités. Par conséquent, l’État québécois a un droit de regard sur les résultats ainsi que les perspectives de consolidation et de développement de ce secteur, que ce soit sur le plan des universités ou des industries. En ce sens, la future politique scientifique du Québec établira un certain nombre de règles qui encadreront la recherche et, surtout, tentera de rapprocher, d’une manière aussi harmonieuse que possible, des acteurs principaux dans la production de résultats de recherche, à savoir les universités et les entreprises, voire les hôpitaux affiliés qui apparaissent comme des entités tout aussi particulières.

Un autre rôle majeur de l’État est joué par ses ministres et parlementaires qui, par leur imputabilité, se doivent de veiller au bien-être de la population. Par exemple, la recherche en santé possède deux objectifs qui visent l’amélioration de la santé et le développement socioéconomique. Normalement, les choix qui doivent être posés devraient veiller à l’intérêt supérieur des citoyens. Dans la majorité des cas, les choix furent poser de manière efficace et ont contribué à ;’amélioration de la qualité de vie de la population. Malheureusement, l’histoire se compose aussi d’erreurs de jugement et de conflits d’intérêts ayant des conséquences désastreuses. Par exemple, dans neuf pays occidentaux, les différentes affaires liées au sang contaminé qui, dans les années quatre-vingts, ont souligné le manque de clairvoyance de plusieurs membres des différents gouvernements ainsi que des responsables politiques et scientifiques de ces pays. »

PROMISCUITÉ ET RISQUES POUR LE BIEN COMMUN

« Il est difficile de percevoir l’exacte relation entre la Science et l’État. Souvent, les limites sont floues et le gouvernement n’apparaît pas toujours comme le garant le plus efficace de la protection des citoyens. En Belgique, l’Université de Liège ne peut engager aucun professeur ou chargé de cours sans l’approbation du ministère de l’Éducation de la Communauté française. En France, il y a également le licenciement de certains savants pour des raisons qui restent obscures, car les motifs ne sont pas reliés aux compétences du chercheur: il y a quelques années, J. Testart a dénoncé son licenciement pour des raisons politiques puisque de hauts responsables français n’appréciaient pas ses prises de position et ses actions de sensibilisation de la population face aux enjeux des recherches sur la fécondation in vitro.

Au Canada, les chercheurs, en santé comme dans d’autres domaines, ont constaté que les gouvernements prenaient de plus en plus de place dans les décisions d’octroi de certaines subventions attribuées à la recherche dans des domaines précis. Par exemple, de nombreuses critiques entourent l’octroi des subventions de la FCI où les projets les plus médiatiquement intéressants semblent prépondérants par rapport à la qualité de la recherche. L’apparence de la présentation d’un projet de développement pourrait être parfois déterminante, et ce, au détriment de la qualité et de l’excellence scientifique du projet.

Deux des co-auteurs de la note de recherche, à savoir Joël Monzée et Charlène Bélanger (2001).

Par contre, il est vrai que les domaines de prédilection des chercheurs en milieu universitaire sont parfois loin des intérêts de la population. L’intervention gouvernementale est nécessaire pour cibler des [priorités]. Soulignons que certaines maladies sont peu étudiées au Canada. alors que la population en souffre régulièrement, comme ce fut le cas pour l’hépatite B. D’un autre côté, les réalités politiques sont parfois étrangères aux modes de fonctionnement des chercheurs. Or, des décisions prises parfois avec une méconnaissance du milieu ou basées sur une mauvaise information habilement présentée [par un lobby ou un promoteur] pourraient miner considérablement les efforts fournis jusqu’alors. De plus, le court terme et le long termes ne font pas toujours bon ménage sur le plan médiatique et les projets ayant des retombées rapides pourraient être préférés à d’autres dont les retombées seront éventuellement observables 10 ou 15 ans après le début du financement de ceux-ci.

Un autre problème lié à la législation est le temps que mettent les responsables politiques et scientifiques avant de percevoir l’implication et les conséquences de certaines avancées technologiques. Les premiers enfants fécondés par des méthodes in vitro sont nés en 1978, en Angleterre, et en 1981, en France. Pourtant, il a fallu attendre 1986 pour qu’une première demande de moratoire soit enregistrée et près de 4 000 enfants étaient nés avant que ne [soient définies les premières lignes directrices qui encadrent] ces recherches.

Plus récemment, ce sont les débats internationaux entourant l’utilisation des OGM et la commercialisation du génome humain qui révèlent la lenteur de la législation à mettre en place des moyens pour assurer la protection des citoyens. [Et force est de constater que rien n’a réellement changé ces vingt dernières années. L’Assemblée nationale du Québec a voté à l’unanimité, par exemple, pour que les produits industriels recourant aux OGM soient identifiés, mais – comme c’est une compétence fédérale – les lobbies agroalimentaires ont bloqué l’initiative québécoise à maintes reprises. NDLR, 2021]

LA NÉCESSITÉ DE DISPOSER D’UNE INDÉPENDANCE DANS LES PRISES DE POSITION LÉGISLATIVE.

« Les impératifs économiques et l’internationalisation de certains marchés conduisent les gouvernements à ne pas statuer ou redéfinir leurs articles de Loi afin de permettre commercialisation et brevetabilité. Des débats juridiques et éthiques sont actuellement en cours en Europe, surtout en France, au sujet du génome humain. Dans un article sur le séquençage du génome humain, B. Chamak souligne ces débats juridiques et les enjeux économiques ainsi que la complexité des enjeux internationaux: « En France, la loi du 29 juillet 1994 a expressément exclu la brevetabilité du corps humain, de ses éléments et de ses produits, ainsi que des gênes humains. Pourtant, aujourd’hui, un avant-projet de Loi tenant compte de la directive européenne 98 / 44 / CE du 6 juillet 1998 est à l’étude. Cette directive précise qu’une séquence, même partielle, peut faire l’objet d’un brevet si les trois critères de brevetabilité sont remplis: nouveauté, activité inventive et application industrielle. L’un des articles de l’avant-projet français stipule: « Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gêne, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d’un élément naturel. » Le 13 juin 2000, le comité consultatif national d’éthique s’est prononcé contre cet avant-projet de Loi et appelle à la tenue d’un débat international. Aucun des pays membres de l’Union européenne n’a encore fait évoluer sa législation dans le sens de la directive européenne. Les pays qui participent   la course au séquençage parviendront-ils à harmoniser leurs positions face aux questions? »

Au Québec, le MRST a reçu le mandat de [moderniser] la première politique scientifique [datant de 1980] qui va encadrer désormais la recherche durant de nombreuses années. Est-ce que le MRST pourra traduire et refléter les attentes des citoyens et des professionnels de la recherche? Répondra-t-il à des impératifs économiques peu conciliables avec les enjeux de la bioéthique ou de la liberté de la recherche universitaire? Les intentions du MRST en ce qui a trait à l’aide logistique pour l’organisation des [comités d’éthique à la recherche (CER)], la formation des étudiants et les débats publics suffiront-ils pour baliser efficacement un cadre scientifique respectant les valeurs et les principes éthiques? »

EN CONCLUSION

Malgré la bonne volonté du législateur et des gouvernements, les lobbies universitaires et industriels dans les différents domaines de la biotechnologie sont de plus en plus souvent interdépendants, mais surtout au service d’une volonté commune de commercialiser de nouveaux produits via des subventions de recherche, la mise en place de start-up initialement universitaires et prises ensuite en main par des fonds de capital-de-risque, l’octroi de licence ou la revente des droits intellectuels sur le produit ou le procédé innovant.

Les chiffres d’affaires liés aux Vx expérimentaux sensés protéger l’être humain du COVID-19 sont hallucinants. L’Agence France Presse révélait que, uniquement pour 2021, PFZ/BNT allait recevoir 18,7 milliards US$, MDA 5,9 milliards US$, AZC 1,17 milliards US$ (certains pays ne l’acceptent pas) et J&J 2,5 milliards US$.

Quand on sait que les gouvernements occidentaux ont déjà réservés des doses pour 2022, 2023 et 2024, alors que l’OMS – à tort ou à raison – milite pour que ces pays en offrent gratuitement aux pays les plus pauvres, est-ce qu’on se demande encore pourquoi les influenceurs émérites, dépendants des subventions industrielles ne présentent qu’un seul côté de la médaille?

Est-on seulement étonné qu’on ait occulté le principe de précaution et ostracisé les experts qui tentaient de nuancer les discours dominants dans les médias grâce à la subtilité des influenceurs émérites?

Est-ce qu’on comprend pourquoi on ne tient pas compte de la législation imposant aux chercheurs de s’identifier et de s’assurer de la signature d’un formulaire de consentement pour participer à une recherche, afin de s’assurer que le sujet jouisse d’un droit de participer librement en étant clairement informé des risques encourus et de pouvoir se retirer sans aucun préjudice?

L’éthique de la recherche semble de plus en plus bafouée et ça m’inquiète pour le devenir de notre humanité. Les responsables politiques ont d’excellentes compétences pour gérer ou orienter les décisions ministérielles, mais il ne leur est pas possible de maîtriser ces enjeux. Ils sont gigantesques. Et si les personnes qui les conseillent sont pris par des intérêts personnels ou des conflits, voire même une apparence de conflits d’intérêts, le bien commun et la population au sens large est dans une situation largement problématique.

Il est donc urgent que des gens-de-bien sans conflits d’intérêts puissent aider les gouvernements à reprendre le contrôle de la situation pour sortir de cette crise sanitaire transformée ces derniers mois en crise politique. Si les citoyens ne prennent pas conscience de ces enjeux, leur corps appartiendra désormais à l’industrie pharmaceutique de la même manière que les entreprises – dont certaines sont les mêmes – ont pris le contrôle des graines et des cultures agricoles en brevetant et en imposant leurs produits modifiés génétiquement.

RÉFÉRENCES

Agence France Presse, Vaccins anti-COVID: des milliards de dollars pour leurs producteurs, 9 août 2021.

J. Monzée, Médicaments et performance humaine, Eds. Liber, 2010

J. Monzée et Ch. Bélanger, Recherche en santé: enjeux et perspective, Eds. AEGSFM – Force Jeunesse, 2001.

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