Quand on encourage la bienveillance, de quoi parle-t-on?

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Ces dernières semaines, plusieurs influenceurs se sont insurgés contre le concept de bienveillance ou de psychologie positive. Force est de constater qu'il y a beaucoup de confusion. Alors, de quoi parle-t-on quand on encourage la bienveillance?

Alors que beaucoup de personnes ont difficilement vécu la crise sanitaire, le concept de bienveillance a trouvé un écho de plus en plus large dans les discours de personnalités publiques et dans les intentions des parents et des intervenants. Toutefois, on constate que l’application des concepts de bienveillance et de psychologie positive a été parfois mal orientée.

Souvent, c’est une mécompréhension des principes qui amènent de la confusion. Ainsi, certains influenceurs ont réagi en s’offusquant, alors qu’eux-mêmes semblent avoir de la difficulté à sortir de la confusion dans leurs propos et exemples.

Force est de constater que, conséquemment, parents et intervenants se retrouvent mélangés ou, pire, vont alors privilégier des stratégies s’apparentant à de la violence éducative pour faire entendre raison à l’enfant ou l’ado.

Alors, de quoi parle-t-on quand on encourage la bienveillance dans nos interactions quotidiennes?

SORTIR DE LA CONFUSION

Pour certains, la bienveillance et la psychologie positive sont le berceau du laxisme. Souvent, les personnalités publiques qui critiquent ces concepts se basent sur les conséquences d’une mode éducative favorisant la non-intervention.

Sur le fond, la critique se justifie. En effet, les enfants et les ados ont besoins de repères adéquats pour savoir réguler leurs interactions. Les employés aussi. Les collègues également (et même parfois les supérieurs). Le tout est de savoir comment on s’exprime et d’éviter la confusion des rôles. Les interventions ou consignes doivent être claires. Cohérentes. Constantes.

L’absence de limites saines peut, par exemple, faire en sorte qu’un enfant ne tolère pas que son parent ne soit pas disponible continuellement pour répondre à ses… caprices. Une fois arrivé à la garderie, l’enfant va vivre de la difficulté à tolérer les délais (entre l’émergence d’un besoin et son éventuelle satisfaction) ou s’assurer d’attirer – par tous les moyens possibles et imaginables – l’attention des autres jeunes comme des éducatrices ou des enseignantes.

Certains jeunes vont avoir aussi de la difficulté à rester calme dans un restaurant, sauf si le parent leur passe un écran. C’est devenu tellement habituel de voir chaque enfant plongé dans son jeu vidéo, sans écouteurs, pour que tous les convives puissent bénéficier de cette musique et des sons d’explosifs ou de bagarres. Dans un magasin, ils feront une crisette à la caisse pour avoir les bonbons. Ils décideront tout et n’importe quoi et le parent se dévouera corps et âme…

Si l’intention est noble de vouloir répondre aux besoins du jeune, ce n’est toutefois pas de la bienveillance ou de la psychologie positive. C’est malheureusement au mieux une confusion des rôles et au pire du laxisme. C’est ainsi que beaucoup de personnes confondent la bienveillance avec le « laisser tout faire » ou la psychologie positive comme « ne jamais dire non. » C’est une mécompréhension d’une forme d’interaction avec autrui.

Au contraire, il est important de mettre de limites pour guider les jeunes, ainsi que de clarifier le rôle de chacun dans les diverses relations qui animent chaque communauté, mais en choisissant d’éviter les luttes de pouvoir pour privilégier une manière de vivre la relation qui est basée sur l’authenticité, l’intégrité, la compassion et l’altruisme.

QU’EST-CE QUE LA BIENVEILLANCE?

La bienveillance, c’est une posture émotionnelle et affective. C’est une manière d’agir et de communiquer avec autrui – jeunes et moins jeunes – en étant animé par le désir d’offrir le meilleur de nous-mêmes pour éveiller le meilleur de l’autre, même dans des moments difficiles. C’est le choix d’intervenir ou d’échanger sur une base relationnelle la plus saine possible, malgré d’éventuelles circonstances difficiles.

En effet, nous avons peu de contrôle sur les différents événements que nous vivons. Les situations peuvent être heureuses, mais aussi choquantes, provocantes, blessantes, etc. On peut se sentir dépassé ou impuissant, ce qui fait naître la colère – une part de résilience – mais, si elle est mal canalisée, les risques de luttes de pouvoir, surtout dans les relations où on a l’impression d’avoir un peu de contrôle ou qu’on ne veut surtout pas le perdre. Somme toute, c’est souvent avec notre entourage familial ou professionnel.

La bienveillance, c’est de choisir de se positionner, d’identifier et nommer ses limites, d’accepter de ressentir notre vulnérabilité, de privilégier une relation respectueuse malgré que tout pourrait nous amener à décharger l’excès d’émotions accumulées, de choisir de rester intègre même si les raccourcis sont invitants, d’intervenir avec autant de douceur que de fermeté quand c’est nécessaire, d’avoir assez d’humilité pour reconnaître qu’on fait (ou a fait) une erreur ou qu’on s’est basé sur une mauvaise compréhension de la situation, etc.

C’est choisir de faire le bien, même si tout nous pousserait à combattre avec force, voire agressivité ou méchanceté.

C’est de reconnaître autrui comme une personne à part entière qui mérite le respect et la dignité, malgré les circonstances désagréables.

C’est de privilégier la sensibilisation aux valeurs universelles à travers la constance et la cohérence des consignes qu’on expose à un enfant ou un ado, mais aussi un employé.

C’est de considérer qu’autrui, même quand il gaffe ou fait une erreur, a sans doute agi sans malice, même si nous nous sentons blessés.

C’est d’essayer de comprendre les biais cognitifs qui influent sur la compréhension de tous et chacun pour essayer, ensuite, de favoriser un dialogue qui permettra d’éviter les confusions ou les mésinterprétations.

La bienveillance peut ainsi s’inviter au coeur de notre vie de famille, dont notre vie de couple et nos rôles parentaux, mais aussi dans notre vie sociale et professionnelle qu’on soit client, collègue, employé, gestionnaire ou entrepreneur.

QU’EST-CE QUE LA PSYCHOLOGIE POSITIVE?

On pourrait certainement trouver plusieurs définition de la psychologie positive. Celle que je privilégie, c’est d’une part le choix de la posture de bienveillance (et donc le refus du rapport de force) en étant, en plus, conscient des mots qui sont utilisés.

D’une part, c’est d’être conscient que nos mots ont une valeur directe (ce qui est dit) et symbolique (ce qu’ils représentent dans l’imaginaire de la personne qui les entend). La première peut éventuellement déranger ou choquer, voire frustrer, et déclencher une réaction souvent légitime, même si celle-ci est maladroite.

Ainsi, un enfant ou un ado qui s’oppose cherche bien plus à manifester son désaccord et à s’affirmer qu’à nous provoquer. C’est peut-être non-constructif ou maladroit, mais la malice est rarement présente, même si – par exemple – ils nous insultent ou nous donnent un coup dans le tibia. Parfois, le jeune ne sait pas comment dire autrement qu’il veut autant notre aide que son autonomie. Il est coincé, il a mal et il rage tellement la frustration est ressentie avec intensité.

Si on réagit sur le même mode relationnel, cela blesse tout le monde. Si on comprend sa détresse, on peut ainsi l’accompagner tout en mettant des limites claires que nous n’acceptons pas son agressivité verbale ou physique.

D’autre part, il y a la symbolique. La nounou de mon fils utilisait parfois – comme beaucoup de matante – le sobriquet « mon p’tit tannant » quand elle jouait avec lui. Considérant autant la bonne intention de la nounou que les effets qu’une telle expression peut engendrer chez un garçon, je lui ai demandé d’éviter cette forme d’attention pour privilégier un « diminutif » plus neutre ou constructif.

En effet, ce genre d’expression finit – à cause de l’effet Pygmalion – par faire naître un malaise émotionnel, puis un doute. Certains enfants s’identifient aux reflets maladroits ou déformés que les adultes expriment aux enfants et aux ados. Si on réprouve les blagues ou sobriquets sexistes, il est tout aussi important d’éviter ceux qui infantilisent ou ridiculisent les jeunes ou moins jeunes. C’est donc de prendre conscience de l’impact affectif des mots utilisés.

Une autre symbolique peut amener un doute ou une peur d’oser prendre des risques. Le parent veut bien faire, mais les mots s’inscrivent sournoisement dans le processus identitaire du jeune. Par exemple, mes enfants sautaient parfois de pierre en pierre autour de la maison. J’avais peur qu’ils se blessent, alors je leur disais de faire attention. J’ai changé mon intervention grâce à ma conjointe qui, elle, leur disait de bien rester dans leurs souliers! C’est cela la psychologie positive: privilégier des interventions avec lesquelles nous guidons sur des « fais ceci » plutôt que des « évite cela » afin de guider de manière constructive les comportements des enfants et des ados.

Un autre exemple. Il est facile de dire à son enfant « Non! tu n’auras pas la télé tant que tu n’auras pas mis ton pyjama! » On est ainsi dans un rapport de force qui peut se muer en lutte de pouvoir. Selon les valeurs de la psychologie positive, on privilégierait plutôt une affirmation du type « Oui, tu pourras regarder ton dessin animé dès que tu auras mis ton pyjama et que tu te te serras brossé les dents! » La consigne est clairement établie. L’enfant connaît ce qu’on attend de lui et peut s’exécuter avec moins de risques de conflits… sauf s’il a besoin de celui-ci pour extérioriser la charge mentale accumulée. On est responsable de ce que nous exprimons, pas de ce que l’autre va en faire…

OSER UNE AUTRE FORME DE RELATION

Nous avons mille et une occasions de renforcer nos mécanismes de défense. Certes, ils sont parfois utiles pour traverser une crise personnelle, familiale, professionnelle ou sociale. Cela permet de gérer la charge mentale qui s’accumule tout au long de la journée, voire nous adapter à un contexte de vie compliqué ou désagréable.

Toutefois, les mécanismes de défense sont aussi le symptôme que nous avons manqué plusieurs rendez-vous avec nous-mêmes ou avec autrui pour faire en sorte que les relations soient les plus harmonieuses et respectueuses de chaque personne, vous comme l’autre, qu’il ou elle soit un jeune ou un moins jeunes.

Alors, réorientons notre chemin de vie… Soyons conscient de ce que nous portons et choisissons d’agir avec bienveillance…

Basés sur les connaissances récentes en neurosciences affectives et sociales, les outils de la pleine présence favorisent l’émergence d’un monde plus juste, plus responsable et plus serein malgré les défis de l’expérience humaine… Et, au vu de ce que nous vivons depuis des mois, c’est peut-être un des choix les plus importants que nous pouvons faire.

De même, nos enfants et nos ados vivent des moments difficiles depuis deux ans. Leur détresse a souvent été passée sous silence pour favoriser l’adhésion aux mesures sanitaires ou ne pas trop mettre d’emphase sur notre propre manière de vivre la crise sanitaire et, maintenant, les risques de guerre en Europe. Il est urgent d’appliquer ces concepts de bienveillance et de psychologie positive dans nos interventions éducatives, tant à la maison qu’à l’école ou au service de garde!

Aller plus loin:

J. Monzée, J’ai juste besoin de votre attention – Aider les enfants et les adolescents aux prises avec le stress et l’anxiété (2e édition), Québec, Éditions Le Dauphin Blanc (sous presse).

J. Monzée, J’ai juste besoin d’être compris – Comprendre les comportements dérangeants des enfants et des adolescents pour intervenir avec bienveillance (2e édition), Québec, Éditions Le Dauphin Blanc, 2020.

J. Monzée, Et si on les laissait vivre? Québec, Éditions Le Dauphin Blanc, 2018.

J. Monzée, J’ai juste besoin de votre attention – Aider les enfants et les adolescents aux prises avec le stress et l’anxiété, Québec, Éditions Le Dauphin Blanc, 2016.

J. Monzée, J’ai juste besoin d’être compris – Comprendre les comportements dérangeants des enfants et des adolescents, Québec, Éditions Le Dauphin Blanc, 2015.

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