Le rythme est-il dans la tête ou dans les jambes?

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Lors de mon premier été à Montréal en 1992, j'avais été fasciné par un spectacle autogéré sur les plaines du Parc du Mont-Royal. Chaque dimanche, des citoyens se réunissent pour jouer du tam-tam en groupe. Comment le cerveau peut-il coordonner cette activité musicale qui s'harmonise rapidement dès qu'un leader change le rythme?

En continuité d’une chronique lors de l’émission du 21 septembre à l’émission « On va se le dire », je voulais revenir sur une recherche menée par Caroline Palmer et son équipe au MIT qui viennent d’apporter un regard intéressant sur le contrôle du rythme par le cerveau. Ensuite, j’aborderai les limites de ce type de mesure de l’activité du cerveau en regard du TDAH.

LES TAM-TAM À MONTRÉAL

Lors de mon premier été à Montréal en 1992, j’avais été fasciné par un spectacle autogéré sur les plaines du Parc du Mont-Royal. Chaque dimanche, des citoyens se réunissent pour jouer du tam-tam en groupe.

Quelques habitués prennent le leadership des musiciens amateurs et le rythme émerge, au fil de leurs frappes de main, comme si un chef d’orchestre donnait la mesure. Le rythme est ainsi dépendant des sons produits par les autres musiciens.

Cette activité musicale est, sur le plan du développement psychomoteur des jeunes et des moins jeunes, d’une richesse incroyable.

Par exemple, les bras doivent se synchroniser de manière alternée pour produire une mélodie rythmique. Il faut dès lors que le cerveau augmente la qualité de la coopération entre la partie droite et la partie gauche du cerveau. À termes, cela influencera la qualité de la pensée, des apprentissages et de la régulation des émotions.

Il en va de même pour un orchestre qui se composent d’une multitude de musiciens qui doivent apprendre à jouer un morceau ensemble, mais comment cela se passe pour des amateurs qui n’ont aucune expérience de communication musicale pour s’harmoniser?

LA VISION PÉRIPHÉRIQUE PLUS QUE FOCALE

La vision ne peut pas se faire de manière focale, comme lorsque vous lisez. Si vous regardez vos mains, vous prenez le risque de perdre le rythme si vous jouez avec d’autres musiciens. Un quart de seconde de décalage est suffisant pour perturber la symbiose musicale.

C’est donc la vision périphérique qui joue un rôle fondamental pour permettre la coopération entre les membres de l’orchestre improvisé. Cela permet, dès lors, de stimuler efficacement les muscles des globes oculaires et de réduire les risques de problèmes de vision. C’est donc une activité précieuse si vous êtes souvent sur l’ordinateur, car vous retrouver votre « amplitude visuelle ».

Mais, ce n’est pas tout. Il faut aussi que vous appreniez et que vous corrigiez vos mouvements pour appliquer la force adéquate avec la bonne partie de la main. Pour ce faire, le cervelet va être très impliqué tant pour l’anticipation du mouvement du tronc et des bras nécessaire pour produire un son que la correction du mouvement pour les frappes subséquentes.

Il y a aussi l’affect, le plaisir, l’endurance, la respiration… et le contrôle cardiaque adéquat pour maintenir l’activité durant un certain temps. Somme toute, c’est une activité qui, derrière son caractère bon enfant, est hautement complexe à réaliser… Là, vous comprenez pourquoi vous vous êtes parfois découragés si vous avez tenté de participer à ces tam-tam du dimanche.

DANS LA TÊTE OU DANS LES HANCHES?

La musique est une activité humaine extraordinaire. Puisqu’elle implique de nombreuses aires et noyaux du cerveau, c’est une des pratiques les plus utiles pour atténuer des troubles de santé mentale. Comme je l’avais exposé lors de ma chronique le 22 janvier dernier à « On va se le dire », elle freine aussi l’apparition des maladies neurologiques, elle apaise le stress des enfants prématurés, elle contribue à diminuer la douleur et réduire la violence, alors qu’elle améliore aussi nos performances sportives…

Caroline Palmer et ses collaborateurs ont recruté 21 musiciennes et 8 musiciens, âgés de 18 à 30 ans, pour explorer la production du rythme. D’un minimum de 6 ans d’expérience musicale, la moyenne du groupe était de 12 ans de pratique. Ils vont leur faire écouter des sons graves et aigus, selon trois séquences rythmiques différentes.

Pour comprendre comment fonctionne le cerveau, ils vont utiliser une technique de mesure appelée électroencéphalographie ou EEG. Quelque 64 capteurs de surface permettent d’avoir une idée du fonctionnement cérébral. Je dis bien « une idée », car le signal est facilement parasité par le fonctionnement même du cerveau. Par ailleurs, on comprend qu’il y a une activité, mais c’est surtout la fluidité du signal qui est utile.

Bref, les 29 sujets ont réalisés trois tâches durant lesquelles les chercheurs mesuraient les ondes:
1) écouter les séquences de sons et repérer des « sons manquants »;
2) écouter un métronome qui dictait un rythme qu’ils devaient suivre et le synchroniser avec les séquences de sons;
3) écouter le rythme du métronome en diminuant progressivement le « son » produit par leur main synchronisée avec le rythme établi, mais sans entendre le tempo.

C’est ainsi que l’équipe de chercheur a réussi à isoler le processus de synchronisation en comparant les profils dictés par l’EEG. Par un savant calcul réalisé par ordinateur, ils découvrent alors que les différentes tâches modulent les fonctions cérébrales, sans toutefois déterminer si une région est plus importante que l’autre dans le néocortex des sujets pour opérer la synchronisation.

Par contre, le cortex somatosensoriel et moteur gauche est mis en évidence lorsque la main droite lorsque le sujet bat la cadence, alors que les aires du contrôle sensorimoteur est activité de manière bilatérale dans les conditions de synchronisation. Cela veut dire que la « commande motrice » de synchronisation implique les deux hémisphères du cerveau, même si une seule main frappe la mesure, ce qui aurait été très utile pour faire du tam-tam.

Par ailleurs, il y a une synchronisation auditive, mais les aires visuelles semblent plus impliquées que les aires auditives dans plusieurs conditions, surtout dans les conditions de rythmes complexes. Là encore, on constate l’importance de la vision dans la synchronisation des bras pour effectuer des activités comme la batterie ou le tam-tam.

Mathias et al. (2020), Journal of cognitive neuroscience

EST-CE QU’ON APPREND VRAIMENT GRAND CHOSE?

Il est toujours difficile d’interpréter ce type d’images, car ce sont des électrodes de surface qui permettent d’identifier une activité du cerveau, mais ne permettent pas d’identifier le processus. Les capteurs prennent une mesure des variations électriques dans le cerveau, mais ce n’est pas très précis, alors qu’on ne peut pas identifier le rôle – par exemple – du cervelet ou des émotions. Pourtant, elles influent tous les signaux électriques produits.

Un peu comme lorsque vous mangez une tarte aux pommes: c’est bon (ou pas), voire succulent, et vous pouvez identifier le crémage, l’onctuosité de la pâte et la caramélisation des pommes, mais vous ne savez pas comment le pâtissier a réalisé ce dessert. Cela ne vous informe pas de la qualité du sucre, du temps de cuisson, de l’endroit où les pommes ont poussé, etc. Vous aimez ou vous n’aimez pas selon la texture, le goût ou l’aspect visuel de la tarte. En soi, c’est une information qui doit être combinée avec plein d’autres informations.

On utilise ce genre de protocole de recherche pour observer, par exemple, les effets de la méditation. La fluidité des vagues d’ondes quand le sujet pense reflète, par exemple, si la personne est sereine ou nerveuse. Et on voit qu’une personne qui médite souvent obtient une très grande fluidité dans le fonctionnement de son néocortex.

On peut aussi utiliser ce type de mesure pour identifier les différentes phases du sommeil et déterminer si une personne dispose d’un sommeil réparateur ou agité. On sait, par exemple, qu’il y a 4 phases dans chaque séquence de sommeil: les jeunes enfants vont passer longtemps dans la phase 4 qui est la plus réparatrice, alors que les aînés y vont très rarement, ce qui les oblige à faire des siestes en après-midi. On peut aussi les utiliser pour voir les effets de l’apnée du sommeil et mieux comprendre le profil du sommeil des personnes qui en souffrent.

DIAGNOSTIQUER LE TDAH?

Là où c’est plus hasardeux, c’est lorsqu’on « diagnostique » un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité sur la base de tels profils. Ils ne sont pas assez précis et une multitude de facteurs influencent le profil observés. C’est aussi suspect que de déterminer qui est arrivé en premier: l’oeuf ou la poule? Et dans le cadre du TDAH, c’est important pour éviter un faux diagnostic ou une prise de psychostimulants non requise.

Par contre, ces profils peuvent être utiles pour comparer les effets d’un entraînement. On le voit dans l’étude avec les sons, les sujets modifient le profil selon les activités qu’ils réalisent. Une personne qui participe à une séquence d’entraînement de l’attention et de la concentration (par exemple, avec des exercices de biofeedback) pourrait voir son profil s’améliorer au gré des séances d’exercices particuliers.

Un peu comme si l’évaluation de la tarte aux pommes que vous donnez permet au cuisinier de savoir si sa technique pâtissière s’améliore (ou non) au fil de ses essais pour améliorer la recette ou sa technique…

ALLER PLUS LOIN

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Article sur la synchronisation des rythmes musicaux:

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