Savoir quand s’arrêter…

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Savez-vous à quel moment mettre fin à une discussion? En fait, on constate que la plupart du temps, un échange entre amis, comme entre étrangers, semble durer deux fois plus de temps que souhaité par les personnes... Pourquoi?

Nous avons tous vécu des moments durant lesquels nous échangeons avec une personne et on ne sait plus comment arrêter la discussion. Soit on manque de temps, soit on voudrait passer à un autre sujet, soit on n’a juste pas envie de poursuivre la conversation.

Il y a aussi des moments où on voudrait défendre une cause, être entendu, être considéré dans un échange formel ou informel. On voudrait que l’autre personne reconnaisse, par exemple, ses torts si on s’est senti blessé ou incompris. Que des excuses qui soient éventuellement adressées. Mais, suffisent-elles seulement?

NE PAS SAVOIR QUAND SORTIR

Ces derniers jours, j’ai été préoccupé par deux situations qui me laissent plus de questions que ma réflexion ne m’a apporté de réponses. L’une d’elles me laisse encore dans le questionnement, mais j’ai compris – me semble-t-il – le message (je vous en parle ci-dessous), alors que je n’ai pas encore pris de décisions pour la seconde (et j’y reviendrai dans mes prochains textes).

Mardi dernier, j’étais aux funérailles d’un de mes très bons amis, un frère de cœur.

Il est décédé quelques jours plus tôt, alors qu’il faisait une balade à vélo. Un automobiliste a forcé le passage et lui a coupé net sa route. Ça ne pardonne pas. Il est décédé sur le coup.

À la fin de la journée de commémoration, nous étions réunis entre amis. Encore pris par une peine immense. On se connait pour la plupart depuis plus de 20 ans. Si j’étais resté très proche de cet ami, je revoyais d’autres pour la première fois depuis longtemps.

Attablés alors que nous soupions ensemble après la cérémonie, deux sujets vinrent s’imposer. Le premier sujet, c’était le groupe que nous formions quand on se fréquentait régulièrement. Ce groupe avait pris une direction avec laquelle je ne me sentais pas à l’aise et je l’avais quitté il y a 12 ans, même si j’ai conservé des liens d’amitié avec plusieurs membres.

Une personne qui avait vécu quelque chose de difficile avec le leader de ce groupe souhaitait avoir mon avis relativement à mon départ. Pour ma part, j’ai vécu une expérience et je n’étais pas dans un ressentiment quelconque. La dynamique de l’époque m’a permis de faire des apprentissages qui m’ont été utiles et je ne ressentais pas le besoin d’en parler.

Cette personne, par contre, avait besoin de partager ce qu’elle avait vécu. Une situation l’avait grandement blessée, ce que je comprenais. Elle revenait toutefois sur le sujet, malgré des tentatives pour échapper à un échange que je ne désirais pas poursuivre. Elle avait besoin d’être écoutée, entendue, reconnue.

Cela impliquait plusieurs des personnes attablées, l’une d’elle était d’ailleurs un peu agacée, mais il était si difficile de mettre un terme à la discussion, car on se voulait être doux les uns envers les autres, surtout dans les circonstances de ces retrouvailles.

Ce sont des situations qui sont certainement très communes dans les repas de famille. Combien de fois est-ce qu’on aborde pas des sujets qui sont dérangeants pour une partie des personnes, même si la personne qui parle a besoin d’être écoutée?

LA DIFFICULTÉ DE SORTIR TOUT EN RESTANT RESPECTUEUX

L’autre sujet de discussion durant la soirée concernait l’impact de la crise sanitaire. Beaucoup de personnes se sont senties mal comprises, jugées ou insultées par les propos de diverses personnalités publiques. Les familles et les groupes d’amis ont été malmenés lorsque les membres avaient des opinions différentes.

La déchirure est d’autant plus intense pour certains quand d’autres ont utilisé des stratégies de manipulation pour forcer une adhésion à un comportement ou un autre. Il ne fut pas simple pour certaines personnes de rester fidèle à ce qu’elles croyaient être juste pour elles-mêmes, alors qu’elles en paient encore le prix aujourd’hui.

Le spectre de voir réapparaître des mesures sanitaires drastiques, potentiellement envisageables avec l’arrivée de la période annuelle des troubles viraux et des débordements des urgences hospitalières, inquiète plus de gens qu’on le croit.

On a beau ne pas en parler en ce moment durant la campagne électorale, cela reste présent dans les conversations. Le besoin d’être entendu dans ses craintes, peines et frustrations peut se manifester d’autant plus fortement que des retrouvailles chaleureuses entre amis invitent à la reconnexion sociale.

Toutefois, était-ce le moment d’avoir un tel échange? Certes, je peux avoir des idées sur le plan politique et des opinions sur le plan éthique, il n’en reste pas moins que j’avais autant du respect pour les personnes avec qui je partageais le repas que l’envie de changer de sujet de conversation.

Une question restait. Comment faire? Si je me respecte, je veux arrêter. Si je veux respecter autrui qui visiblement souhaite mettre des mots sur ses peurs, je dois poursuivre mon écoute. Un dilemme.

SORTIR DU DILEMME

Publiée dans PNAS, une étude montrait que c’est un problème que la plupart des individus vivent au quotidien. Cette étude mettait en jeu près de 1000 sujets. Deux situations étaient proposées: deux amis se parlent ou deux étrangers échangent.  

Il appert que, dans les deux groupes, « les conversations ne se terminaient presque jamais lorsque les deux interlocuteurs le souhaitaient et se terminaient rarement lorsque même un interlocuteur le souhaitait ».

Pire, l’étude révèle que « l’écart moyen entre les durées souhaitées et réelles était d’environ la moitié de la durée de la conversation ». En d’autres mots, une conversation de dix minutes sur un sujet aurait amené, si les personnes avaient partagé leur envie de s’arrêter, seulement cinq minutes de discussion.

En essayant de comprendre la dynamique, les chercheurs ont constaté que leurs sujets n’avaient « aucune idée du moment où leurs partenaires voulaient mettre fin et sous-estimaient à quel point les désirs de leurs partenaires étaient différents des leurs. »

La cause première de cette difficulté à sentir le moment de mettre fin à un échange sur un sujet particulier serait due à une incapacité de lire l’affect d’autrui, car cette dernière n’expose pas clairement ses intentions et ses besoins.

On pourrait aussi considérer l’apprentissage psychosocial dans nos familles ou nos écoles. Combien de fois les enfants ou les ados se font chicaner pour une niaiserie qu’ils ont faite à l’école, alors qu’ils aimeraient qu’on arrête la discussion si elle est pleine de reproches?

Si on ne permet pas aux jeunes de dire « stop » quand ils sont saturés, comment apprendront-ils à suivre le rythme et danser au gré des disponibilités des uns et des autres?

Se pourrait-il que, devenus des adultes, nous ayons de la difficulté à sentir la limite d’autrui, d’autant plus si on veut que notre enfant ou notre ado comprennent son « erreur » commise plus tôt dans la journée? C’est légitime de l’éduquer, mais est-ce juste pour son développement social?

AVOIR RAISON OU ÊTRE HEUREUX?

Quoi qu’il en soit, nous sommes parfois dans une situation où on voudrait échapper à un sujet ou un autre. Pour sortir de l’impasse, nous avons tout intérêt à être plus transparent et plus authentique.

On ne peut pas s’attendre à ce qu’autrui nomme clairement les choses, donc il est précieux soit de nommer ce que l’on vit, soit de vérifier si l’autre personne est à l’aise de poursuivre ou souhaite s’arrêter.

Somme toute, cela nous ramène à la bienveillance et aux outils de la pleine présence.

Dans les deux cas, j’ai poursuivi un certain temps la discussion, par respect de mes amis, en utilisant ma compassion et en restant connecté à cette farouche volonté d’être doux et attentif.

Puis, j’ai expliqué que je souhaitais arrêter, tout en proposant qu’on reprenne l’échange dans un autre lieu, d’autres circonstances.

Je ne peux pas avoir l’attente qu’autrui sente le moment où je souhaite changer de sujet de discussion. C’est à moi d’assumer ce que je vis et ce que je souhaite vivre ou partager.

Dans un prochain texte, je discuterai d’un autre enjeu majeur qui brime nos conversations, qui plus est lorsque les personnes ont des avis contradictoires ou qu’ils ont de la difficulté à percevoir les nuances dans un phénomène humain singulier.

Au cœur de cette future réflexion se présentera une question: voulez-vous avoir raison ou être heureux?

RÉFÉRENCE

A.M. Mastroianni, D.T. Gilbert, G. Cooney & T.D. Wilson, Do conversations end when people want them to? PNAS, 2021, vol. 118(10):e2011809118

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