Échange imaginaire avec Steve E. Fortin, chroniqueur au Journal, suite à ma lettre ouverte

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La création de nouvelles classes de "maternelle 4 ans" fait beaucoup réagir les uns et les autres. Steve Fortin a réagi à la lettre ouverte publiée récemment. Je me suis amusé à lui répondre. Ce dialogue imaginaire permet de nuancer les idées...

Suite à ma lettre ouverte publiée dans le Journal de Québec et le Journal de Montréal, Steve E. Fortin [SEF] a répondu à mes propos. Il sera peut-être possible de jaser un jour ensemble, mais dans l’attente d’une telle discussion, je reprends sa réponse et je commente ses propos [JM]. Alors, imaginez-vous Steve et moi, discutant allègrement en dégustant un bon café dans un bistro de quartier!

[SEF] D’abord, loin de moi l’idée de me substituer aux universitaires et spécialistes de la petite-enfance. Je n’ai pas le bagage universitaire de M. Monzée, c’est l’évidence. Toutefois, comme chroniqueur et journaliste d’opinion, la question des CPE et des maternelles 4 ans me préoccupe depuis longtemps. Et de tout temps, je n’ai pas caché ma préférence pour le réseau des CPE.

[JM] Loin de moi l’idée de penser que seuls les universitaires devraient se positionner. Au contraire. Enfant, je croyais que les scientifiques étaient des sages. Étudiant, j’ai vu l’envers du décors. Il y a de belles personnes, mais le contexte universitaire favorise trop les luttes d’égo et laisse peu de place à cette sagesse imaginée. Notre société ne pourra être sage qu’à partir du moment où tous les citoyens s’impliqueront, justement, dans les débats. C’est d’autant plus important que certains fanatiques prennent beaucoup de place dans l’univers social… et veulent réduire au silence les hommes et les femmes de bonne volonté.

[SEF] Aussi, j’ai pu, au cours des années, discuter avec de nombreux intervenants de ces milieux (chercheurs, universitaires, gestionnaires de centres de la petite-enfance, gestionnaires de commissions scolaires, enseignant(e)s, parents, etc.) afin de mieux en saisir les enjeux, sur le terrain, dans les environnements sociaux où l’on met en place, par exemple, une maternelle 4 ans là où, par exemple, le bassin d’enfants de ce groupe d’âge n’est pas assez important pour accommoder les deux modèles, de manière complémentaire.

[JM] C’est un exemple de cette regrettable lutte entre deux institutions, certes aussi méritoire l’une que l’autre. Il existe des tables de concertation qui regroupent notamment les CPE et les commissions scolaires d’une même région. Il aurait donc été précieux que les gestionnaires se parlent et vérifient comment – dans chaque localité – il est préférable de répondre aux besoins des enfants. Il est à craindre que, dans l’exemple donné, les adultes aient perdu de vue leur mission: le bien de l’enfant!

[SEF] J’ai décroché le téléphone quand des gestionnaires de CPE, ne sachant plus à quel saint se vouer, voulaient dénoncer que l’implantation d’une classe maternelle 4 ans, en région, dans un milieu moins densément peuplé, cannibalisait le groupe en CPE de ses poupons de ce groupe d’âge, ou quand on a facilité le « choix » des parents en mettant en place des conditions plus favorables (en réduisant la subvention pour l’enfant de 4 ans en CPE par exemple) à l’environnement maternelle 4 ans.

[JM] La canibalisation d’un CPE est, de fait, une stratégie bien maladroite. Il est vrai que certaines écoles auraient repris les listes des enfants préscolarisables (notamment auprès des familles qui fréquentent les « Passe-Partout »). Cela rejoint ce que je mentionnais précédemment: les gestionnaires ne se sont pas servis des tables de concertation pour dialoguer entre-eux et s’assurer du bien fondé de leurs décisions pour soutenir le développement des enfants. Il est à craindre qu’ils aient agi en défendeur de leur institution.

Cela dit, il est probable qu’une telle transhumance puisse refléter l’intérêt des parents à permettre à leur enfant d’aller en maternelle, plutôt que de le laisser dans le CPE. Pour certains enfants, c’est mieux. Par ailleurs, cher Steve, parler de « poupons » pour décrire des enfants de 4 ans, c’est peut-être une image un peu exagérée.

[SEF] J’ai recueilli le témoignage de parents et d’intervenants scolaires (chauffeur d’autobus par exemple) qui m’ont raconté leur déveine face à l’implantation d’une classe maternelle 4 ans dans une école pas du tout adaptée à ce groupe d’âge.

[JM] Ce n’est pas la première fois que je lis les craintes des chauffeurs d’autobus. Et là, je donne raison à cette remarque. Les autobus ne sont pas adaptés à la taille des jeunes enfants, mais je mentionnerais – encore pire – la violence psychologique que certains doivent subir de la part de leurs aînés. Depuis que je vis au Québec (27 ans), je n’ai jamais compris pourquoi on ne s’assure pas de la présence d’un adulte qui peut assurer une certaine surveillance dans les bus, afin de laisser le conducteur se concentrer sur la route.

Le gouvernement libéral de Daniel Johnson avait, en 1994, eu l’idée d’offrir une expérience d’emploi aux personnes assistées socialement, mais aptes au travail, comme accompagnatrices dans les autobus scolaires. Les groupes de défense des personnes socialement assistées sont montés aux barricades médiatiques et l’idée est mort-née. Ce qui est bien dommage, car on aurait peut-être pu consolider certains emplois partiels dans les écoles, tout en offrant une meilleure sécurité dans les autobus scolaire, en impliquant les éducatrices des services de garde scolaires.

Cela dit, le parent qui confie son enfant à un CPE ou une garderie familiale se déplace personnellement pour conduire son enfant à ses activités journalières. J’encourage donc vivement à prolonger cette stratégie, non seulement pour les maternelles-4-ans, mais aussi pour la maternelle 5, voire le début du primaire. Cela permettra de réduire de nombreux cas d’intimidation. Beaucoup d’élèves souffrent durant le transport scolaire qui représentent des contextes anxiogènes qui affectent leur disponibilité, soit durant la journée de classe, soit pour le retour à la maison et la période de devoirs & leçons.

[SEF] Des parents aussi choqués, déçus de voir leurs poupons dans une classe maternelle 4 ans au ratio 1-22 complètement mésadapté pour ce groupe d’âge. Est-ce la norme? Bien sur que non, mais quand on ajoute ces nombreux écueils à la littératie concernant ces deux milieux pour le groupe 4 ans, cela donne à réfléchir.

[JM] Vous soulevez deux points importants. D’une part, le non-respect dans certaines écoles du ratio imposé par le MESS qui est, pour la maternelle-4-ans, de 2 adultes (une enseignante et une éducatrice diplômée) pour 17 enfants, ce qui avoisine le ratio des CPE 1-10 pour des enfants de 4 ans. Il y a donc clairement une situation problématique pour ces classes. Et je comprends l’inquiétude des parents. Il se peut que l’école n’ait pas été prête ou qu’elle aurait dû s’assurer de respecter le règlement ministériel. Cela dit, c’est un problème de « gestion », mais pas vraiment de pertinence quant à la création des maternelles-4-ans.

Deuxièmement, il est important de rappeler que ce n’est pas une obligation, ni d’inscrire son enfant en maternelle-4-ans, ni de créer une classe qui les accueillerait si l’école n’est pas prête. Toutefois, le fait que 22 enfants sont inscrits laisse entendre que 22 familles ont été intéressées par cette offre de services. Le tout est de s’assurer que cela se passe dans de bonnes conditions, et ce, d’autant plus si certains sont déjà vulnérables…

[SEF] Même si je ne porte pas le titre de docteur en neurosciences, je rappellerai à M. Monzée qu’à plus d’une reprise, dans les pages et sur les blogues du Journal de Montréal (mais aussi ailleurs, sur d’autres tribunes), j’ai cité des études, notamment, de Christa Japel, de Nathalie Bigras, et de nombreux chercheurs qui se sont penchés sur la question, toujours prenant soin d’ajouter les hyperliens pour que le lecteur puisse les consulter.

[JM] Je crois que votre remarque sur mon titre professionnel n’est pas utile. Un diplôme ne validera malheureusement jamais les qualités de coeur. Les miens me donnent accès à une compréhension des choses, comme vous avez votre implication professionnelle dans le monde du syndicat qui vous a sensibilisé à certains défis sociaux. Et c’est ce qui fait que j’aime vous lire, car vous êtes un chroniqueur très articulé. Et c’est l’échange d’idées qui fait avancer le monde…

[SEF] J’ai décroché le téléphone quand des universitaires ont été outrés, scandalisés, de la réaction du député Éric Caire quand ce dernier, débonnaire, avait rejeté du revers de la main, le travail acharné de spécialistes québécois de la petite-enfance…

Vous souvient-il M. Monzée de cette pointe du député à l’époque? « Je veux bien qu’une étude me dise que j’ai tort, vos enfants ont été mal servis, mais ce n’est pas vrai, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise! » J’imagine qu’à titre d’universitaire vous-même, cette désinvolture de la part d’un député, d’un législateur, doit avoir quelque chose d’un peu agaçant.

[JM] Oups! Honnêtement, je n’en ai aucun souvenir. Cela dit, je crois que cela souligne la difficulté de faire de la politique constructive. Même si c’est une utopie, je crois que les députés devraient apprendre à travailler ensemble, plutôt que de servir un parti.

J’ai adoré le travail de l’ensemble des députés, autour de Véronique Hivon, pour amener une loi consensuelle pour permettre l’aide médicale à mourir dans la dignité. Il est possible qu’ils fassent de même, sous la houlette de Lise Lavallée et Ian Lafrenière, avec les mesures à mettre de l’avant pour freiner la prostitution juvénile. Il l’avaient fait aussi, il y a 15 ans, en regard des OGM, bien que le Fédéral ait bloqué la volonté du Québec d’étiqueter les produits qui en contenaient.

Malheureusement, les débats à l’Assemblée nationale ne sont pas toujours au service des citoyens. Cela dit, il se peut que la pensée d’un député évolue, comme la vôtre et la mienne, au fil des années.

[SEF] Alexandre Sirois, dans un éditorial de La Presse, l’été dernier, rappelait lui aussi cette malheureuse déclaration du député Éric Caire, de la façon suivante : «Au Québec, les services éducatifs offerts en CPE sont de meilleure qualité que dans les autres garderies, ont constaté les experts. Plusieurs études l’ont démontré. Mais un député de la CAQ n’est pas de cet avis. Je veux bien qu’une étude qui me dise j’ai tort, vos enfants ont été mal servis, mais ce n’est pas vrai, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise», a déclaré récemment Éric Caire. »

[JM] Je suis heureux que nos CPE puissent jouir d’une telle reconnaissance. Les éducatrices font un travail du tonnerre. Et je les en remercie. Toutefois, l’Institut des statistiques du Québec révélait, il y a quelques mois, que près de 28% des enfants de 4 ans étaient affectés par au moins une vulnérabilité dans l’une de ses 5 sphères de son développement. Or, il y a 6 ans, c’étaient seulement 21%.

Ce n’est pas la faute des CPE, mais ils n’ont pas nécessairement assez de ressources pour faire face à cette réalité. Et quand bien même les CLSC offrent des services, ceux-ci sont brusquement arrêtés lorsqu’il y a un passage à l’école. C’est ainsi que ma position quant à la création des maternelles-4-ans tient au fait que cette mesure ministérielle est attachée aux mandats de Lionel Carmant, ministre des services sociaux.

Il veut offrir du dépistage précoce et amener les services orthopédagogiques ou thérapeutiques disponibles dès l’entrée à l’école (au lieu d’attendre la fin du primaire), ce qui donnera lieu à une possibilité de suivi durant 8 années! Ce sont ces enfants qui sont visés par l’ouverture de plus de classes maternelles, et ce, pas uniquement dans les quartiers défavorisés.

Par ailleurs, il y a des écoles implantées dans des quartiers accueillant deux grands groupes sociaux (classe moyenne et milieu défavorisé) qui n’ont pas accès aux mesures de support, car certaines maisons cossues ou salaires raisonnables modifient l’accès aux ressources. Là encore, les maternelles 4 ans offertes dans les écoles qui sont prêtes à offrir ces services vient répondre aux besoins des enfants en difficultés. J’accompagne une de ces écoles depuis 8 ans et ils viennent de passer d’une cote « 10 » à une cote « 7 », ce qui affecte lourdement tout ce qui a été mis en place ces dernières années pour aider les enfants vulnérables.

[SEF] J’ai décroché le téléphone aussi, encore très récemment, quand des intervenants et des gestionnaires du milieu des CPE (et aussi du milieu collégial parmi ceux et celles qui enseignent aux futures éducatrices) ont voulu m’expliquer la difficulté de recruter des éducatrices qualifiées. Une ressource trop rare souvent.

La perspective de voir les futures diplômées (la plupart des femmes, entendons-nous) être recrutées pour œuvrer au sein des maternelles 4 ans a de quoi inquiéter. Car imaginez-vous la surprise d’une gestionnaire en CPE, en pénurie d’éducatrices qualifiées, apprendre dans les journaux, que l’empressement – injustifié selon plusieurs – de mettre en place les classes de maternelle 4 ans pousse le gouvernement à lorgner du côté de celles qui sont si attendues au sein du réseau des CPE…

[JM] Je peux comprendre l’inquiétude des responsables des CPE, que ce soient les directions ou les conseils d’administration. Mais, encore une fois, nous sommes dans une discussion qui parle de problèmes de gestion et pas des besoins des enfants. Vous réagissez, et c’est normal, tant avec votre coeur qu’avec votre expertise syndicale.

Pourtant, je vous sens assis entre deux chaises. Vous prenez le point de vue de l’employeur, alors que ma lettre ouverte se félicitait d’une mesure d’encouragement pour un retour aux études des éducatrices, car seules celles qui sont en formation de premier cycle universitaire sont invitées à rejoindre le corps professoral. Par ailleurs, il y a la liberté du lieu de travail. Si une éducatrice se sent plus à l’aise dans une école – quelles que soient ses raisons – que dans un CPE, pourquoi décrier une mesure qui facilite son maintien au travail dans les conditions qui lui conviennent.

Steve E. Fortin – SEF

[SEF] Donc, oui, dans bien des cas, plusieurs intervenants du réseau des CPE ont l’impression de se faire dépouiller de précieuses ressources par un gouvernement qui a depuis longtemps (du temps qu’il était dans l’opposition) montré, affiché sa préférence pour les maternelles 4 ans, et ce, même si plusieurs études pointent vers le milieu des CPE comme environnement optimal pour les enfants de ce groupe d’âge.

Le véritable « choix » pour les parents devrait passer par le développement de plus de places en CPE –encore faut-il y croire – tout en offrant des places en maternelle 4 ans, comme réseau alternatif, aux parents qui le désirent.

[JM] Je reste à penser que c’est un processus de transformation de l’offre de services pour les enfants porteurs d’une vulnérabilité. Que ce processus est plein de promesses, même s’il ne faudrait surtout pas fermer les yeux sur les problèmes systémiques, impliquant le ministère de la Famille, comme le ministère de la Santé et des services sociaux.

J’espère du fond du coeur que les gestionnaires se serviront des tables de concertation inter-institutionnelles pour favoriser une offre de services qui soutiendra les jeunes en difficultés. Et le fait que vous puissiez dénoncer les culs-de-sac locaux est nécessaire, car les employés sont souvent tenus au devoir de loyauté envers leur institution.

Et merci pour cet échange d’idées…

NB. Plusieurs réponses exposées durant cet échange ont été publiées dans le Journal de Québec (suite de la lettre ouverte et de la réponse de Steve Fortin).

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