Pas de jeux olympiques scolaires en 2021

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Étant impliqué sur plusieurs dossiers depuis sa nomination comme ministre de l'Éducation et des Études supérieures, le ministre Roberge m'a invité, au printemps 2020, à participer à deux tables de discussion: la première est composée d'experts pour diminuer les effets collatéraux de la crise sur les élèves en difficultés d'apprentissage, alors que l'autre vise à créer des consensus entre experts, directions et syndicats pour favoriser la réussite scolaire de tous les élèves. Un des enjeux discutés me tient à coeur depuis 20 ans: les effets délétères du processus d'évaluation ministériel.

Vendredi dernier, le ministre Jean-François Roberge a annoncé l’annulation des examens du ministère… Nous en discutions en comité d’experts(1) depuis plusieurs mois. Pas parce que ces épreuves sont inutiles, mais parce qu’elles génèrent trop de stress et d’épuisement mental, tant chez les élèves que chez leurs enseignants dévoués, dans cette période très instable.

Ce qui a retardé cette décision, c’est que certains groupes craignaient que les étudiants soient moins mobilisés, comme si un examen du ministère était plus important qu’un examen du professeur qui enseigne la matière. D’autres ont besoin de ces résultats provinciaux pour accéder à des programmes contingentés au secondaire et au Cégep, voire à l’université.

UNE EXCELLENTE NOUVELLE!

Considérant que les élèves ont vu leur école être fermée durant le printemps à cause du confinement, qu’il y a des classes qui ferment depuis septembre pour réduire la propagation du virus dans leur école et que certains sont mis préventivement en isolement, car un parent ou une personne dans le bus s’est retrouvée positive à un test, alors que les ados ont, en zone rouge, un apprentissage en mode hybride, il devient de plus en plus difficile d’atteindre les objectifs pédagogiques prévus par les programmes.

Dans de nombreuses écoles primaires et surtout secondaires, des groupes d’enseignants ont tenté de sélectionner les « essentiels » pour orchestrer les apprentissages de cette année scolaire bousculée. Toutefois, tant que les examens du ministère étaient maintenus, ils revenaient obligatoirement à une planification comme si la crise n’était pas là. C’est la logique administrative qui l’emportait.

Résultat? La course au rattrapage du temps perdu au printemps et parfois l’automne. Du stress, beaucoup de stress, imposant. Des pleurs. Quelque 30% des élèves considérés virtuellement en échec au secondaire. Des profs épuisés. Des parents dépassés… Il fallait agir et le ministre l’a fait, merci.

Cela va contribuer à relâcher la pression sur nos jeunes, mais aussi sur les parents et les membres de la communauté scolaire. Les profs vont pouvoir se concentrer sur les essentiels et réduire la pression de performance. Somme toute, le ministre a lancé un message fort:

1) c’est le temps de prendre soin de soi et de mieux respecter les rythmes; les élèves doivent encore réussir des examens pour passer à l’année suivante, mais cela se fera dans le respect des réalités rencontrées par chaque classe;

2) c’est un moment de réaffirmer que le jugement professionnel des enseignants se doit d’être mieux considéré dans la note finale et l’accès aux programmes contingentés…

Je pense surtout à nos ados. Ils sont assez bousculés comme cela, leur vie est conditionnée par un problème qui ne les concerne pas directement. Il était temps de relâcher la pression qu’ils vivent depuis septembre dernier.

D’ailleurs, j’ai été auditionné en décembre dernier par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale française(2), car le problème est observé dans plusieurs pays.

POURQUOI PARLER DE PRÉPARATION AUX JEUX OLYMPIQUES?

Si je considère la décision du ministre comme une excellente initiative, il n’en reste pas moins que cela a créé une petite vague de questionnements dans le milieu scolaire, habitué à ces jeux olympiques annuels pour certaines classes, et pour certains parents, qui y perdent un outil de mobilisation de leurs jeunes.

Je parle de « jeux olympiques », car j’ai constaté – comme formateur et papa – que plusieurs enseignants contractaient les apprentissages de l’année entière entre le début septembre et le mois de janvier, pour ensuite faire passer d’anciennes épreuves ministérielles pour « entraîner » leurs élèves, comme s’il s’agissait d’une compétition sportive.

D’autres rappellent tout au long de l’année qu’il y aura des épreuves nationales en fin d’année scolaire pour mobiliser leurs élèves. Le stress s’accumule de mois en mois et il nourrit une pression de performance qui répond plus aux logiques des adultes que celles des enfants et des adolescents.

Enfin, ces notes ministérielles valent 60% de la note finale, ce qui fait en sorte que leur bulletin y est fortement modulé. Or, l’accès aux programmes contingentés au secondaire et au Cégep dépendent de leur performance scolaire.

Pour accéder à ces programmes, la pression est énorme sur les épaules tant des élèves que des enseignants mis sous pression par des parents, certes plein de bonnes intentions, mais peu conscients des effets à court terme, même si l’atteinte du Graal justifie cette pression de performance.

Pour un jeune qui a de la facilité, c’est peut-être une simple pratique d’entraînement à la performance scolaire. Il y apprend l’abnégation. Pour les autres, cela peut les épuiser, miner leur estime de soi, voire leur faire croire que jamais ils n’y arriveront. Et combien décrochent, car ils ont l’impression que « participer ne suffit pas ».

C’est un des changements de culture scolaire que la crise sanitaire nous invite à faire, car les normes sont problématiques pour 20 à 25% des élèves du primaire, alors que cela monte à 35% au secondaire. Combien doivent prendre des psychostimulants pour de pseudo-TDAH pour disposer du dopage cognitif nécessaire pour atteindre le tableau final?

LE JUGEMENT PROFESSIONNEL SUFFIRA

Certaines personnes se sont choquées, affirmant qu’on allait laisser passer tout le monde comme en juin 2020. D’une part, c’est un raccourci regrettable de croire qu’aucun échec n’a été sanctionné en juin dernier. D’autre part, je crois qu’il faut faire une différence entre l’année scolaire dernière et celle-ci.

D »abord, tout le monde était pris de court au printemps dernier. On pouvait difficilement pénaliser des élèves qui avaient fait 7 des 10 mois de classe, alors que certains élèves débloquent systématiquement en mars de chaque année, mais ceux-ci n’ont pas pu le démontrer pour la récente année scolaire. Parfois, des choix humanitaires sont justifiables.

Ensuite, les évaluations des enseignants sont mises de l’avant, plutôt que les examens du ministère, mais les élèves auront été évalués tout au long de l’année. Quelle que soit la pondération des deux bulletins de cette année scolaire, il y a eu des évaluations rigoureuses tenues par les enseignants.

Dorénavant, le ministère de l’Éducation et les équipes d’enseignants peuvent déterminer les essentiels. Les évaluations de chaque professeur peuvent se baser sur ce nouveau constat. En bout de ligne, un élève qui ne réussirait pas son année sur la base des évaluations que les professeurs ont fait durant toute l’année serait alors contraint à redoubler.

J’ai enseigné selon cette formule, alors qu’à l’époque il n’y avait pas d’examens généraux au primaire, alors qu’ils n’existent pas à l’université. Mes évaluations reflétaient le contenu des cours déterminés en fonction des programmes établis. Mon autorité morale, mon autonomie pédagogique et ma rigueur professionnelles justifiaient mes décisions professionnelles.

Je crois que cela ne devrait pas poser de problème, même si – les habitudes ont la couenne dure – on peut être un peu embêté par l’abolition des examens du ministère. Ceux-ci ont mis une pression effroyable sur certains jeunes. Pas sûr que cela serve la communauté.

Les évaluations pourront être adaptées en fonction des réalités que leur école, leur classe ou leurs élèves auront rencontrées depuis mars 2020. En effet, la réalité n’est pas la même à Ste-Adèle qu’à Montréal, à Alma qu’à Gaspé, à Chibougamau qu’à Québec.

Certes, il y aura des disparités entre les écoles. Et puis? Ces disparités ont toujours existé, comme le démontre chaque année le tristement célèbre palmarès des écoles secondaires. Il est illusoire de penser qu’elles n’existent pas. Par ailleurs, les prochaines années pourront compenser progressivement, quitte à ce que les Cégeps ou les universités ajoutent une session d’études préalables ou finales…

Donc, je suis très heureux que ces examens soient abolis et, surtout, qu’on fasse confiance aux profs et leur jugement professionnel. Comme en Europe, il peut y avoir – du moins au secondaire – des conseils de classe qui prennent les décisions ultimes en cas de situation limite pour certains jeunes.

Au plaisir!

Joël Monzée, Ph.D.
Docteur en neurosciences

(1) Jean-François Roberge a créé plusieurs tables de discussion pour déterminer des moyens et des stratégies qui permettent d’atténuer l’impact des mesures sanitaires sur les élèves et les membres des équipes-école. Celles auxquelles je participe concernent des experts consultés pour diminuer les effets collatéraux de la crise sur les élèves en difficultés d’apprentissage, alors que l’autre vise à créer des consensus entre experts, directions et syndicats pour favoriser la réussite scolaire de tous les élèves.

(2) Commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, présidée par Madame Mme Sandrine Mörch. Le rapport a été publié le 16 décembre 2020.

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